Ce roman, construit à partir d’une utopie chimérique, celle
d’un grec juif qui confie une mission à un jeune anarchiste, amateur
de théâtre : monter Antigone à Beyrouth. Il lui faut pour
cela convaincre les belligérants de chaque camp (Palestinien, Phalangiste,
Druze, Chiite, maronite) d’y tenir un rôle, le temps d’une
seule et unique représentation. Ce roman résonne naturellement
chez nous lecteurs après les tueries perpétrées à Paris
dix jours plus tôt.
Ce roman est une leçon d’histoire donnée par la présentation
des différents acteurs, situés dans leurs camps et porteurs de
leurs causes respectives. Par sa construction, l’auteur transporte le lecteur
dans un conflit dont on démêle mal les tenants et aboutissants mais
on y voit la guerre qui sème la haine partout et détruit tout,
enfants comme vieillards.
L’écriture est superbe y compris lorsque Chalandon décrit
les ruelles pleines de sang dans les camps de Sabra et Chatila après les
bombardements israéliens. Georges, personnage plutôt « fade » au
début, occupe le premier rang lorsqu’il accomplit la mission que
lui a confié son ami Samuel (voir plus bas ce que dit Chalandon sur Georges).
Lui aussi est détruit par la guerre. Il perd le goût et le sens
de la vie. Il éclate de colère lorsque sa fille pleure pour une
boule de glace tombée par terre alors que les enfants de Beyrouth pleurent
sur le corps de leurs parents. Georges incarne cette question que la guerre charrie
avec elle à toutes les époques « comment renaître à la
vie lorsqu’on revient de si loin ? ».
Certains ont vu dans ce roman une ode à l’amitié et au fraternalisme,
d’autres se sont demandés pourquoi Chalandon traite-t-il constamment
de la violence et de la haine ? Tous avons considéré que Le quatrième
mur est un grand livre, que le Goncourt des lycées a consacré à juste
titre.
Extraits d’entretiens avec S. Chalandon
«
Entré comme journaliste dans les camps palestiniens de Sabra et de Chatila
au dernier jour des massacres, en septembre 1982, j’ai gardé pour
moi ce qu’abandonne un homme qui marche dans du sang humain. Un journaliste
doit rapporter sur les guerres sans les pleurer. Je ne les ai pas pleurées.
Alors j’emmène Georges (jeune metteur en scène français
et personnage principal du roman) d’où je viens. Je lui offre
mes larmes, ma colère, mes doutes. Et surtout, je l’envoie là où je
ne suis pas allé, au plus loin de ce que la guerre arrache aux hommes.
Le Quatrième mur est l’histoire d’un enfer. Je me suis arrêté à sa
porte et je regarde Georges s’y jeter. » (entretien sur France
inter après la parution de cet ouvrage).
A propos du style du journaliste et de l’écrivain, soulevé en
cours de séance :
Ecrire, c’est souffrir ?« C’est différent pour le
journaliste et pour l’écrivain. Le journaliste, c’est le
jour et ce sont des faits. Pour le journaliste, la prise de notes, c’est
90% du travail de reportage. Le travail d’écriture ne représente
que 10%. Il s’agit d’une formalité technique, sans heurt.
Sur place, dans un reportage, je sais que telle phrase sera mon attaque, ma
chute. L’écrivain, c’est la nuit et ce sont les rêves.
C’est une écriture souffrante car plus impliquante. Quand la nuit
tombe, je puise dans l’écriture fictionnelle. Elle fait appel à des
choses plus intimes et là, la douleur arrive. Chaque mot fait mal. Je
souffre des mots qui sortent, pas de ceux qui ne viennent pas. Comme si les
mots passaient par une plaie. C’est pour ça qu’il faut que
mes mots soient courts. », Mon traître, Grasset.
Propos recueillis par Valérie Pailler, responsable département
presse écrite CPJ* Sorj Chalandon a été journaliste à Libération
de 1973 à 2007.
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