Dans ce roman, Kamel DAOUD met en place un narrateur algérien, Haroun,
qui raconte à un témoin (doctorant, journaliste, romancier… ?)
sa vision, du côté de « l’Arabe» (fictif), de
son assassinat, 70 ans plus tôt, par l’ Etranger Meursault (tout
aussi fictif), d’Albert Camus. C’est l’exploit du style romanesque
de K. Daoud que de parvenir à nous rendre, confusément, crédible
ce personnage de Haroun, qui raconte le sort de son « frère Moussa »,
dans un roman « post-colonial », construit en image inversée
de l’Etranger.
Dans les deux romans, (Camus et Daoud) l’absurde régit les faits
et les comportements des deux héros ; Meursault n’a plus de volonté,
plus d’intérêt à rien depuis que « Maman est
morte, ce matin», Haroun, lui, ne fait rien que ce que lui commande sa
mère, car « M’ma est encore vivante ». Meursault tue
l’Arabe parce que : « Soleil, sel dans les yeux, il a cru voir l’Arabe
sortir un couteau » ; Haroun tue le Français « pour faire
plaisir à M’ma », et récupérer ainsi un peu
de l’amour qu’elle ne portait qu’ à Moussa. De même,
tous les deux, à des décennies d’intervalle, portent une
critique acerbe tant sur leur société civile (judiciaire) que sur
leur société religieuse ( ce qui les mène vers leur perte).
Ce roman, « Meursault, contre-enquête » a été lu,
par certains, comme fluide, d’un style chatoyant, voire poétique
; par d’autres, comme confus, inhibé par la lourdeur de ces répétitions
qui font ressentir l’âge du vieil Haroun. Presque tous l’ont
reconnu comme difficile à lire (basculements répétés
entre les époques, densité, répétitions, symboliques ésotériques…)
Certains y ont identifié une rupture de ton entre deux parties : avant
le meurtre du Français et après le meurtre. Avant : vitupérations
contre cette blessure rémanente du mépris de certains colons pour
les autochtones, « l’Arabe n’a pas de nom ! », « le
français ne l’a pas tué d’une balle, il l’a tué en
l’enjambant », par hasard, par inadvertance. Après, on change
de ton et de préoccupation puisque maintenant, « M’ma est
contente», elle a tout arrangé, Haroun noue une relation avec Meriem,
il pourrait commencer à vivre par lui-même. Mais, comment vivre,
quand on est jugé par un colonel de gendarmerie qui chipote sur la qualification
de l’acte, variant avec l’heure du meurtre ? Jugé par le voisin
psalmodieur et le religieux du minaret qui essaie de le convaincre qu’un
Dieu y existe ? Sornettes violentes ? (Daoud avait 20 ans au sommet des succès
du GIA…) (Heureusement que ce n’est pas Daoud qui critique la foi,
mais Haroun ; du coup, l’iman ne lance pas de fatwa contre Daoud, il se
limite à recommander au gouvernement algérien de le condamner à mort…)
Haroun et Meursault se retrouvent « frères » dans leur violence
verbale anti- religieuse.
Donc : des impressions de lecture tranchées entre ceux qui l’ont
trouvée facile, très beau style, et ceux qui l’ont trouvée
difficile, voire « casse bonbons ».
Au fait … Qui se dévoue pour aller révéler à Harounqu’il
peut arrêter de fredonner, comme Reggiani, : « Hector,
où qu’t’a mis l’ corps ?..» (paroles de Boris
Vian) ? Moussa n’a jamais eu de corps…
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