Joyce Carol Oates écrit depuis l’âge de 14 ans quand sa grand-mère lui a offert une machine à écrire. A 75 ans le bilan de son œuvre est impressionnant : une cinquantaine de romans, une centaine de nouvelles, de nombreux essais, un journal intime et des livres publiés sous un pseudonyme. Elle a été parmi les favorites du dernier prix Nobel de littérature. « Les chutes » ont eu le prix Femina étranger 2005.
Au matin de sa nuit de noces, Ariah Littrell découvre que son époux s'est jeté dans les chutes du Niagara. Elle va suivre avec acharnement les recherches de son corps qui vont se dérouler sur une semaine pendant laquelle elle va rencontrer un brillant avocat, Dirk Burnaby. Ce dernier va tomber très amoureux d’elle et une passion très forte va les lier.
Dix ans plus tard, la malédiction va de nouveau les rattraper. Dirk s’engage dans une affaire de pollution des sols et de corruption qui va lui coûter la vie et jeter l’opprobre sur sa famille et lui.
On peut dire que globalement ce livre a recueilli un avis favorable à l’unanimité, ce qui est rare.
- Sur un plan global, la plupart d’entre nous a relevé le côté fascinant,
mystérieux, inquiétant, très fort de ce roman à suspens sous-tendu par la
quasi omniprésence « mortifère » des chutes (« l’eau qui a faim », comme
disent les indiens). Une référence est faite à Laura Kasischke qui écrit
également des romans troublants.
Le style fluide de l’auteur a été apprécié.
Est évoqué un stress profond, une angoisse qui parcourt une grande partie du livre (évocation de Shining de Kubrick). Le lecteur est tenu en alerte et imagine le pire pour Ariah et ses enfants.
Plusieurs d’entre nous ont évoqué un scénario conventionnel de série télévisée ou de film, surtout pour la deuxième partie du livre relatant le deuxième mariage de l’héroïne et la « plongée » de son mari à travers le procès.
La plupart d’entre nous a apprécié les scènes du début du livre très impressionnantes, voire parfois glauques (par exemple la nuit de noce violente et sombre). En revanche, certains ont été déçus par la fin du livre trop longue qui « finit bien » par une sorte de tour de magie et qui est jugée très plate.
- Concernant les personnages dont la profondeur psychologique est
indéniable, ils ont inspiré beaucoup de commentaires très contrastés,
surtout le personnage d’ Ariah Littrell :
Cette femme est vue de manière très différente selon les personnages qui l’observent (c’est un procédé utilisé par Tolstoï).
Elle est très dure, coincée et son mariage avec Dirk qui incarne le charme, la séduction parait très improbable.
C’est en quelque sorte une femme « fantôme » qui n’est pas attirante. Elle est incapable d’aimer car elle-même ne l’a pas été. Elle ne comprend pas son mari et ne le soutient pas dans l’épreuve. Pour se protéger, elle le discrédite auprès de ses propres enfants sans prendre conscience du mal qu’elle leur fait. Elle est destructrice.
Elle est en plein désarroi et se sent complètement abandonnée à deux reprises par ses deux maris avec trois enfants à élever. Elle se laisse envahir par une très forte rancune vis-à-vis de Dirk.
Ariah est un personnage très complexe qui a perdu ses repères qui lui viennent de la religion et elle n’a pas pu en construire de nouveaux. Après la mort de Dirk, elle s’enferme pour se protéger elle et ses enfants de ce qu’elle ne comprend pas.
Au début du livre, Ariah fait l’objet d’une description physique très négative (cheveux filasse, tâches de rousseurs pareilles à des gouttes de pluie sale) et il y a comme une transformation de son personnage tout au long du livre. Le lecteur a l’impression à la fin que ce n’est plus la même personne (voir comparaison avec la beauté de sa fille).
L’engagement de Dirk dans ce combat inégal l’amène à trahir sa caste. Le rejet violent de ses paires est très finement décrit.
La fratrie parce qu’elle forme un bloc va avoir la capacité à résister à tous ces chocs.
Le destin particulier de tous ces personnages attachants est très imbriqué (Chandler est peut-être le fils du premier mari d’Ariah, Juliette est sauvée par le fils du policier qui a assassiné son père, etc…).
Concernant l’aspect social et environnemental traité par ce livre, il a été
jugé très bien rendu par notre cercle. Ce roman est fondé sur une histoire
vraie. Les décharges toxiques passées sous silence par les industriels ont
provoquées l’évacuation de 950 familles à la fin des années 70.
Le conflit juridique et social contre les industriels de la chimie est extrêmement bien décrit. L’auteur fait ressortir le poids de la corruption des pouvoirs en place (industriels, police, juges, experts). Elle écrit : « Dirk a sous estimé la pourriture morale de l’adversaire ».
Le thème du suicide est très présent. Le premier mari d’Ariah se suicide parce qu’il aime un homme et qu’il n’arrive pas à envisager sa vie avec sa femme. Ariah cache ce suicide à la société car il existait à cette époque un tabou très fort.
Quelques extraits d’une de ses interviews sur sa manière d’écrire :
« Ma propre expérience de l’écriture passe par une résolution de problèmes. Le cerveau humain est fait pour ça. Il jubile devant les puzzles, les énigmes. C’est un défi neurologique très excitant. Si vous êtes écrivain, vous résolvez des problèmes à chaque paragraphe, à chaque phrase, le livre est un jeu de construction que vous tentez d’organiser. Et le lecteur joue ensuite avec vous, en entrant dans votre mécanique. » [---].
« Je suis prise par mes travaux d’écriture tous les jours de 7 heures à 13 heures.[---]
« Ecrire est une discipline, un défi élevé, un sport de haut niveau ».Collez votre document ici
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