Sur ce style, l’opinion a été très contrastée : certains le trouvant alerte, fluide, lyrique, poétique, ou humoristique, ont eu un vrai plaisir à le lire, particulièrement le langage de la mère. D’autres ont été rebutés par les phrases espagnoles non traduites, les mots inventés, le mélange de français et d’espagnol.
Dans sa construction c’est un livre à trois voix :
- Celle de la mère, dans son français approximatif, teinté d’espagnol, la langue de l’émigration qui navigue entre sa langue natale et celle du pays où elle vit, et crée des mots à partir des deux langues.
- Celle de Bernanos, le catholique humaniste, parti à Majorque défendre le camp de la religion, et qui va peu à peu évoluer à mesure qu’il découvre les atrocités commises par les franquistes, avec la bénédiction du clergé espagnol. Et qui finira par écrire « Les grands cimetières sous la lune »
- Sa propre voix, qui essaie d’alerter, d’éveiller les consciences des lecteurs
C’est un livre sur la mémoire (celle de sa mère), sur la guerre d’Espagne et sur la découverte puis la perte de la liberté.
C’est aussi un livre féministe. Elle fait parler sa mère, qui a souffert de son père, et elle nous montre que malgré la maladie d’Alzheimer sa mémoire des moments heureux de sa vie reste intacte. Et qu’elle est capable de se rappeler dans les moindres détails le meilleur mois de son existence, le seul où elle ait été vraiment heureuse : l’été 36 à Barcelone, tenu par le POUM, où elle découvre à la fois la liberté et l’amour.
Et avec ce vécu, c’est aussi l’histoire de la guerre d’Espagne, vue à travers les relations dans un petit village espagnol où se retrouvent tous les protagonistes de la guerre (à l’exception des militaires) : les Franquistes, les communistes, les anarchistes, familles et voisins prenant parti pour l’un ou l’autre bord.
Elle y décrit la parenthèse libertaire à Barcelone, et les bagarres entre le parti communiste et le POUM (cf Orwell « Hommage à la Catalogne » et Ken Loach : « Land and Freedom »)
Et, dans le village, les violences, les retournements de l’opinion,
les lendemains qui (ne) chantent (pas), les haines et les séparations
sont bien décrites dans l’atmosphère tendue de la guerre
civile. Les gens du village qui, dans l’enthousiasme, étaient
prêts à mettre leurs terres en commun remettent la décision à 6
jours, et là la collectivisation est rejetée. Le peuple est volatile,
mais humain.
José part avec Montse, Rosita et Juan à Barcelone. En une semaine
il se rend compte que le groupe des pauvres et des utopistes va se faire
tirer, qu’il n’est que de la chair à canon. Il revient
au village, mais n’est pas compris par ceux qui étaient restés
et devient aigri
L’horreur de la guerre est décrite par Bernanos
Dans ce livre, on sent bien le village, avec sa morale et son opinion :
- la peur de la mère de Montse que sa fille ait un enfant sans être
mariée, ses manœuvres pour lui trouver un mari.
- l’opinion fluctuante des gens du village, s’entichant de José,
puis le huant, puis faisant la même chose pour Diego
Il n’y a pas de manichéisme dans ce livre. Les horreurs de la guerre sont évoquées du côté des républicains (les anarchistes que José entend à Barcelone) comme du côté des Franquistes (ce que découvre Bernanos à Majorque).
Les personnages sont très vrais. Ils ne restent pas figés dans
une vision positive ou négative : José passe de héros
romantique à personnage aigri par la perte de ses rêves de liberté et
de gloire. C’est une somme de défaisance, et cela l’amènera à la
mort. …On découvre vers la fin que la famille bourgeoise, catholique
et franquiste était aussi humaine, même la tante pilier de bénitier
et franquiste militante. Dom Jaime, le bourgeois méprisant du début
apparait plein de bonté et humaniste
Enfin Diego, qui semblait au début un personnage pourri, manipulateur
et brutal se révèle être un être sensible, qui souffre,
et qui ne se remettra jamais de la mort de José. Ce qui l’amènera à la
folie
Bien sûr le fait que Diego (communiste) soit son père, José (anarchiste)
son oncle, et dom Jaime (bourgeois du côté des religieux) son
grand-père l’amène à une pensée subtile,
et psychologue. Lydie Salveyre, qui a exercé le métier de psychiatre,
est obsédée par sa famille et a déjà évoqué sa
mère et son oncle dans le livre « La Compagnie des Spectres ».
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