Alaa El Aswany est un égyptien issu de la bourgeoisie cairote et il professe le métier de dentiste. Autant dire que ‘il est très éloigné de la littérature et il vient de publier un livre où il a osé défier le pouvoir en place en décrivant une société malade de ses excès de corruption, en état de déliquescence. On peut tout au long de ce livre se poser les raisons qui l’ont poussé à aller aussi loin. Son livre a été un double succès après son adaptation au cinéma, non seulement dans son pays mais aussi traduit dans de multiples langues. Son éditeur classe l’auteur dans la trace de son illustre aîné Naguib Mahfouz qui avait la chance d’être né au début du siècle au temps où les cairotes avaient pour objectif de chasser les anglais. Que reste-t-il aujourd’hui de ces espoirs perdus ? Aswany s’inscrit dans la veine du grand écrivain mais reste peut-être trop près de lui pour échapper à son ombre.
« L’immeuble Yacoubian » fut construit au début du 20ème siècle et il a petit à petit et surtout après l’arrivée de Nasser au pouvoir, glissé vers un lieu d’habitations populaires tout en gardant d’illustres locataires des lieux. L’auteur s’amuse à dépeindre des personnages typiques de la société actuelle, avec une forte pointe de nostalgie vers le passé ; ambiance empreinte de violence, corruption omniprésente à tous les niveaux, obsession du sexe, promiscuité, chacun enquête sur son voisin, attitude inconcevable et irrecevable dans nos sociétés contemporaines où l’anonymat reste de rigueur.
Le début est un peu lent avec une constante unité de lieu. L’imbrication
des histoires qui se déroulent dans le présent et en parallèle,
entremêlées avec des flash back, complique la lecture et s’accélère
sur la fin. Des vies se croisent et se décroisent. Le livre est construit
de telle sorte que le lecteur est entraîné dans ces histoires
et au moment de recevoir une explication, une information croustillante reste
en suspens, l’auteur est passé ailleurs et puis il y revient subrepticement
.
Le débat s’est orienté vers le sort des femmes dans un pays musulman ou spécifiquement égyptien, et l’interrogation sur la spécificité cairote ou moyen orientale, enrichie par les apports de Maryse, née au Caire dans l’avenue Soliman Pacha , a été fort éclairante. Elle a exprimé l’opinion que pour elle, ce livre est profondément lié à l’Histoire de L’Egypte : livre de la déception (ratage du passage à l’indépendance où tous les espoirs étaient permis), âge d’or pour les petits colons , un espoir immense avec Nasser puis le temps des désillusions, en résumé un livre très sombre.
Personnages immondes, on éprouve une sorte de répulsion et on comprend le cheminement de Taha qui glisse insensiblement selon un scénario minutieusement déroulé vers le terrorisme et la recherche de gloire. L’islam ne reconnaît que le gouvernement de Dieu donc incompatible avec la démocratie et pourtant est-ce vraiment une démocratie que l’auteur nous dépeint ?
Plusieurs d’entre nous ayant eu à fréquenter les businessmen égyptiens ont retrouvé cette atmosphère de décrépitude . L’auteur ne prend pas parti, il déroule un film. Comment ce livre a t-il pu sortir dans ce pays ? Sert-il ou dessert-il la cause islamiste ? Autant de questions ayant donné lieu à débat.
Et pourtant, malgré tout ce contexte, ce récit est plein d’humour, de causticité mêlé de tendresse. L’auteur y apparaît très humain, il nous rend sympathique les différents personnages malgré leurs vices. On perçoit qu’il désire sincèrement que son pays aille vers la démocratie.
Est-ce une des raisons du succès de ce livre ?
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