Enthousiasme général à la quasi-unanimité (moins une voix) pour ce Goncourt Lycéens 'La joueuse de go', un roman écrit en français par « La Minou Drouet chinoise », étonnante auteur d'une trentaine d'années qui ignorait tout de notre langue il y a à peine 10 ans.
Une jeune lycéenne de 16 ans affronte tous les jours tous les jours un adversaire différent au jeu de go dans une petite ville de Mandchourie sous fond de conflit sino-japonais. Jusqu'au jour où elle rencontre un japonais chargé d'espionner les joueurs de go de la Place des Mille vents. La partie qu'ils engagent les mèneront plus loin qu'ils ne le pensent. « Le bonheur est un jeu d'encerclement ».
Dialogue à 2 voix, dans un étonnant va et vient entre le je de la lycéenne et le je du japonais, à la manière de ce jeu de go qui vise l'encerclement, ces deux êtres que tout oppose, lui le jeune militaire exalté adorateur de l'empereur et elle, dans l'adolescence finissante, passionnée et avide de liberté vont finir par se rencontrer autour du damier dans un recueillement muet et solennel. Ce qui pourrait n'être qu'un exercice de style dû à l'alternance de courts chapitres crée en fait une dynamique, les évènements qui se passent dans des lieux différents puis la même ville, l'enfance de chacun, le quotidien qui s'écoule, les amitiés nous sont relatés par deux visions différentes, deux cultures, deux êtres atypiques dans leur milieu d'origine. Le roman ainsi construit adopte la forme d'une partie de go sans que l'un ne prenne le pas sur l'autre.
Phrases courtes, hachées, incisives, ce n'est pas un roman classique chinois mais qu'importe puisque le charme joue ; histoire de découverte de l'autre mais aussi de soi-même, histoire de la découverte de la sexualité, histoire sentimentale alors que plane une angoisse diffuse liée aux trahisons de part et d'autre, aux cruautés de l'envahisseur japonais, aux révoltes vite réprimées.
« Les japonais avaient choisi d'être glorieux dans l'action et les chinois dans la mort. La civilisation chinoise plusieurs fois millénaire a nourri un nombre infini de philosophes, de penseurs, de poètes, mais nul d'entre eux n'a compris l'énergie irremplaçable de la mort. Seule notre civilisation plus modeste est allée à l'encontre de l'essentiel : agir, c'est mourir, mourir, c'est agir… L'empire chinois a sombré dans le chaos, cette vieille civilisation a implosé sous le règne des Mandchous qui refusaient la science, la modernité. Seuls les japonais héritiers d'une culture chinoise pure de tout mélange ont vocation à la libérer du joug européen ». Et puisque la mort est inévitable pour la chinoise, le japonais la suivra dans la mort, trahissant le devoir de tout samouraï qui se respecte.
Pour prolonger le charme chinois:
Lao She « Histoire de ma vie » même époque, même
lieu- François Cheng « L'éternité n'est
pas de trop »(2002) ou « Le Dit de Tianuyi » Prix Fémina
98, du même auteur.
Ou encore le film « Les démons à la porte » sur l' épisode
historique sino-japonais des années 30.
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