Deux livres sur deux fils de dockers au prénom jamais nommé, la comparaison s’arrête là et n’est que le fruit du hasard de nos choix de lecture. Dans « Montedidio » nom d’un quartier populaire de Naples, le jeune héros narrateur passe le cap de l’enfance : « il m’a suffi d’arriver à treize ans et j’ai eu ma place parmi les hommes, j’ai perdu la mauvaise odeur de l’enfance » sous le regard bienveillant d’un cordonnier bossu qui lui sert de mentor. On y découvre Naples et ses artisans, Naples et sa langue napolitaine, l’atmosphère du vieux Naples de l’après guerre et le quotidien des petites gens dans une écriture dépouillée à l’extrême où chaque page est un petit poème dans la lignée de ses livres précédents, ce qui prouve qu’Erri De Luca a fait de son mode d’écriture concise son style personnel séduisant ainsi une large majorité d’entre nous. Beaucoup de symboles : le boomerang, métaphore de sa transformation et de sa confiance grandissante, beaucoup de répétitions comme autant de signes pour ce roman à connotation initiatique.
« Une vue splendide » : du Zola avec la bonne humeur en plus, dans la Chine des années 60. Fallait-il le lire après ou avant Montedidio ?. Un père alcoolo et violent, une mère, aguicheuse qui adore tant les coups qu’elle les provoque, une tribu d’enfants et un réduit de 13m2 pour accueillir tout ce beau monde et le décor est planté. Pas de prénom donné à la marmaille, a-t-on le temps de donner des prénoms ou est-ce un effet de style pour souligner le phénomène de surpopulation qui régnait dans ces années-là. La résilience a joué à fond puisque les plus malchanceux s’en tirent.
Qualificatif de sordide à la quasi unanimité, mais il y a du sordide tolérable, du sordide acceptable et du sordide insoutenable ; avec une touche d’humour, le sordide peut passer ou bloquer, et le rejet ou l’adhésion autour de ce livre s’est fait sur ce fameux seuil de tolérance, si personnel. La force et la cruauté de ce roman écrit par une jeune chinoise, Fang Fang, réside dans la minutie et le détail des situations décrites par un narrateur ingénu mort à 16 jours observant du haut de son cercueil planté sous la fenêtre familiale, les faits et gestes de sa famille, et c’est peut-être ce qui à la fois donne cette résonance tout à fait particulière et l’acceptation de l’horreur.
. De la grande Histoire (la Chine des 50 dernières années) et de la petite histoire.
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