« Le Colonel Chabert », en lecture ou relecture a fait l’unanimité (à une
exception) des membres du Cercle.
Qualifié de nouvelle plutôt que roman, histoire pathétique,
noire, texte concis, incisif, remarquablement écrit, parfois elliptique
comparé à l’interprétation cinématographique
tels sont les principaux commentaires.
Les discussions et les échanges ont porté sur la comparaison
entre nouvelle et film au moins pour ceux qui l’avaient vu et sur l’analyse
psychologique des trois personnages principaux : le Colonel était-il
faible, voire pas très intelligent, ou bien plus pathétique que
stupide ? Avis partagés. Quant à Balzac s’exprimant peut-être à travers
le personnage de Derville, plutôt misogyne ou plutôt misanthrope
? La comtesse Ferraud ancienne mondaine assagie par le mariage et la maternité,
a eu peu de supporters parmi les membres ; jugée manipulatrice, inquiète
de son statut, sans pitié.
Ceux qui avaient vu le film au casting idéal (Depardieu, Ardant et Lucchini)
ont apporté des informations sur les questions en suspens (rôles,
motivations et liens entre les personnages).
Balzac n’avait que 31 ans quand il écrivit ce scénario
d’un soldat hussard, revenu du néant des guerres napoléoniennes.
Il a encore en tête la carrière de juriste qu’il a failli
embrasser et démarre sa nouvelle par quelques pages jugées jubilatoires
par quelques une d’entre nous, sur le monde des avoués, des clercs,
observateurs de la société arriviste et des mesquineries quotidiennes.
A la phrase « Je suis celui qui est mort », tout est dit dans ces
quelques mots d’introduction de la tragédie qui va se dérouler
sous nos yeux. Chabert a vécu dix ans d’ errance avant de retrouver
Paris, un monde qu’il ne reconnaît pas et va s’attacher ,
mais y croit-il vraiment, à retrouver femme, patrimoine et dignité ?
Les quelques contacts avec la comtesse devenue Ferraud l’inclineront à ne
plus se battre. Napoléon n’est plus là , Chabert lui vouait
une admiration sans limites. En sa présence, il aurait été accueilli
en héros, il n’est plus que déchéance, et affaibli.
Il ne se reconnaît plus dans le théâtre qui se joue devant
lui, il baisse les armes.
Balzac a longtemps hésité avant d’inclure Le colonel Chabert
dans son projet de fresque sociale « La comédie humaine » Et
pourtant beaucoup de ses thèmes favoris y sont présents : rapports
de couples hommes-femmes, mariages arrangés, rapports avec l’argent
central dans son œuvre comme dans sa vraie vie, une peinture au vitriol
de la société parisienne et provinciale.
Visite de Saché
" A Saché, je suis libre et heureux comme un moine dans son monastère... Le ciel est si pur, les chênes si beaux, le calme si vaste ! "
Saché à quelques km d’Azay le Rideau est un lieu où Balzac
venait souvent se ressourcer, trouver le calme nécessaire à l’écriture,
loin de l’agitation parisienne.
A cette époque dans les années 1830, le voyage durait 24h en
diligence puis le chemin de fer est arrivé mettant Tours à 6h
de Paris.
Que dirait Balzac de nos jours, nous qui avons fait le trajet en TGV puis voiture
depuis Tours, le tout en 1h 30 pour parvenir à Saché ?
Le château de Saché appartenait aux amis des parents de Balzac
les de Morgonne. Sur les bords de l'Indre, entouré d'un magnifique parc
romantique, ce château Renaissance offre aux visiteurs un intérieur
1830 reconstitué, une exposition d'objets, de manuscrits, de sculptures
et surtout la chambre à coucher que l’on attribue à Balzac
avec son bureau et ses objets dont la fameuse cafetière dont il usait
en excès.
La biographie de Balzac nous apprend que d’autres liens réunissaient
les deux familles.
Henri le jeune frère de Honoré aurait été le frère
illégitime né à la suite d’une liaison entre M.
De Morgonne et la mère de Balzac elle même ayant 32 ans de différence
avec son mari.
Balzac, devenu conscient de son génie créateur en littérature,
après une carrière rapide de clerc de notaire, inlassable travailleur,
forçat de l’écriture, souffrit vraisemblablement de deux
handicaps qui le poursuivirent tout au long de son existence : son physique
ingrat, son allure provinciale et surtout une absence totale de vision des
affaires : toujours à découvert, par excès de luxe, il
allait de faillite en faillite, passant le rare temps que lui laissait son écriture à régler
ses dettes ou à en engranger de nouvelles, cherchant à éblouir
ses relations, et se faire admettre dans le Cercle étroit des aristocrates
et salons parisiens.
Ce n’est pas par hasard que seuls Victor Hugo et George Sand, Gautier
lui vouèrent une amitié indéfectibles, ces derniers ayant également
connu des difficultés passagères. Balzac ne se contentait pas
de sa notoriété qu’il mit à mal plusieurs fois allant
jusqu’à intenter un procès à son éditeur
qui faisait la réputation de tout écrivain.
Le Château de Saché, élégant mais austère,
dans un environnement verdoyant était propice à laisser planer
l’imagination de Balzac qui y conçut notamment « Le lys
dans la vallée », aventure inspiré par sa liaison avec
madame de Berny
Vers la fin de sa vie, il cessa de fréquenter le château et chercha
en vain à séduire Me Hanska qui de guerre lasse, devint son épouse,
une épouse éphémère puisqu’il mourut quelques
mois après son mariage.
Balzac n’allait pas loin à chercher ses personnages, issus pour
la plupart de son entourage et il développa dans son œuvre une
série de thèmes : amitiés déçues, amours
impossibles, mariages de raison plus que d’amour, Balzac passait du romantisme
le plus pur à la noirceur : peinture au vitriol de la nature humaine,
il imagina se lancer dans une aventure semblable à celle de Buffon :
répertorier tous les ressorts de la nature humaine. Projet impossible
qu’il ne put achever, sa mort tragique et relativement précoce
(il mourut à 51 ans) mit fin à ce projet.
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