Si l’on met de côté quelques réticences de détail
et une sur l’ensemble du livre, les membres du Cercle, l’ont trouvé intéressant
et bien écrit.
Pour les uns, l’intérêt portait sur la mise en scène
de la décadence de l’empire austro-hongrois, pour les autres sur
le destin des Von Trotta, la présentation des trois générations
de serviteurs de l’empire Austro-hongrois.
Une synthèse des commentaires pourrait consister à dire que Joseph
Roth sait allier, à travers ses personnages, les destins individuels et
collectifs. Beaucoup ont souligné que le personnage du lieutenant Von
Trotta, sa passiveté, son inconsistance et son manque d’initiative,
reflétaient, avec le gâtisme progressif de l’Empereur François
Joseph, la chute et la décomposition prochaine de l’empire. Décomposition
d’ailleurs annoncée dans le texte par le Comte Chojnicki, une silhouette
de passage dans deux ou trois pages du livre.
Beaucoup ont souligné que le sujet, centré sur les trois générations
de Von Trotta, décrivait avant tout un monde d’hommes. A la fois
leur sensibilité et leur incapacité à exprimer leur émotion,
surtout dans les relations entre le préfet et son fils. Mais cette émotion éclate
dans les sentiments de perte qu’ils éprouvent à la mort de
Jacques, à la rencontre avec le peintre Moser et au décès
du docteur Demant. Les femmes, pourtant seuls personnages vivants, osant enfreindre
ce monde si sinistrement figé dans ses étiquettes et son respect
de la hiérarchie, ont des destins tragiques et, aux yeux des personnages
principaux, sont de peu d’importance.
Certains ont jugé le roman astucieux en ce qu’il fait vivre aux
lecteurs, pour les uns sur le mode de la dérision, pour les autres sur
celui de la dénonciation, ce monde figé, amidonné, de marionnettes,
des serviteurs de l’Empire de Vienne. Et de le faire avec une certaine
profondeur psychologique. Une des lectrices soulignant le caractère décalé des
destins de personnes ayant toujours voulu faire autre chose que d’occuper
leur charge. Comme si le héros de Solferino s’était plongé,
lui et sa descendance, dans le puits d’amertume du devoir et de ses fallacieux
bénéfices, en renonçant génération après
génération à leur vraie vocation. Comme le prouve le court
moment où Charles-Joseph est heureux de quitter l’armée pour
s’occuper exclusivement du domaine familial.
Enfin le style : scènes très visuelles, cinématographiques,
phrases courtes, incisives, à l’imparfait, ont réjoui les
lecteurs.
Pour la prochaine réunion il a paru intéressant de continuer sur
le thème de la chute de l’empire austro-hongrois avec une vision
plus axée sur la richesse et le développement intellectuel qui
régnaient dans les années 1900 avec le choix du "Monde d'hier"
de Zweig.
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