En géologie, les lignes de faille sont des tracés de fractures dans une structure de la croûte terrestre où il y a eu mouvement. Les tremblements de terre se produisent généralement le long de failles parce qu'elles constituent des zones de faiblesse dans la croûte. Dans le roman de Nancy Huston les « Lignes de faille » désignent les fractures formées à la petite enfance qui nous poursuivent de génération en génération comme autant de poids que nous traînons comme un fil à la patte tout au long de nos vies.
Roman à 4 voix , 4 voix d’enfants de 6 ans (comme pour confirmer que tout se joue avant 6 ans), 4 voix d’enfants d’une même lignée, appartenant à des générations successives. Le roman est construit selon une chronologie inversée pour arriver au nœud final où tout a commencé ou fini selon l’ angle de vue du lecteur. Ce roman nous a tous interpellé par l’originalité de la structure narrative du texte, à la fois délicate et audacieuse ;délicate car Nancy Huston s’est astreinte à une construction équilibrée en 4 chapitres d’égale longueur (qui a posé débat) en remontant le temps ce qui oblige le lecteur à se saisir d’éléments du puzzle qui ne trouveront leur place et leur justification qu’à la fin du roman ; audacieuse car l’écrivain a démarré par l’histoire de Sol avec le risque que le lecteur lâche le livre au bout de quelques pages. En effet , Sol, petit être obsédé de pureté entre un père fuyant et une mère abusive, se prend pour Dieu, gobe tout se qui se passe sur la Toile, et illustre parfaitement le rejet que l’on peut éprouver vis à vis de l’Amérique sûre d’elle -même et triomphante des forces du Mal. Mais par une magie de l’écriture, l’auteur nous tient en haleine, entretient le mystère et nous donne à réfléchir sur le travail de mémoire de nos histoires familiales , les répétitions de schémas au cours des générations.
Point commun à ces quatre enfants : une tâche, marque de fabrique qui sera positive pour certains et une plaie pour les autres. Le style a pu déranger certains d’entre nous et en même temps, cela permet à l’auteur d’exprimer ses idées par le truchement des enfants qui parfois utilisent un langage et un raisonnement d’adulte : vision philosophique sur la liberté, le déterminisme, mais aussi dénonciation de la barbarie et plaidoyer contre la guerre .
La multitude des thèmes abordés a évoqué en vrac Le tambour,(Grass) Le secret (Grimbert), le film Forest Gump, en passant par La conjuration des imbéciles, ou encore la chanteuse Régine / Erra Si les avis furent partagés sur les épisodes de cette saga familiale, nous avons unanimement reconnu un intérêt dans les dernières pages pleines d ‘émotion., notamment sur la vie des familles allemandes avant l’engrenage qui a suivi.
L’auteur est partie d’un fait réel, l’enlèvement organisé de milliers d’enfants pendant la guerre 39-45 pour répondre à un désir de race aryenne. L’auteur est indiscutablement marquée par son histoire personnelle et n’a jamais abordé avec autant de vigueur la psychogénéalogie et la résilience incarnée par Erra alias AGM, alias Kristina, Elle redevient plus fréquentable pour le plus grand bonheur de Jean Claude. (membre du CERCLE) qui n’avait guère apprécié la misandrie de l’auteur dans « Instruments des ténébres »,1er roman lu au CERCLE.
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