Un peu prophétique au vu des derniers évènements, le dernier roman de Philip Roth pourtant écrit en pleine bataille juridico-télévisuelle du scandale Clinton/Lewinski, renoue avec les thèmes favoris de l’auteur : vieux démons du sexe, l’Amérique malade de son passé, auxquels il mêle ses propres fantasmes existentiels et ses rapports fils-mère.
Il est des romans qu’on survole rapidement. Il en est d’autres qui demandent une immersion totale, pour en découvrir toutes les facettes révélant à chacun, selon sa sensibilité du moment, des aspects différents tels un kaléidoscope. « La tache » est de ceux-là et si ce roman a fait une large unanimité c’est pour des raisons diverses. « Passionnant, à déguster, morceaux de bravoure, engagé, écriture lumineuse » les éloges n’ont pas manqué.
« La tache » : Pourquoi ce titre ? Car « la tache est en chacun inhérente, à demeure définitoire, elle qui préexiste à la désobéissance, défie toute explication. C’est pourquoi laver cette souillure n’est qu’une plaisanterie de barbare et le fantasme de pureté terrifiant ». Cette tache mise en perspective avec la tache de la robe de Lewinski, symbole de la disgrâce humiliante de Coleman Silk, héros de ce roman troisième de sa trilogie sur l’Amérique.
Chacun d’entre nous est marqué d’une tache, celle de ses origines. Celle de Coleman est drôlement tenace et l’a conduit à bâtir sa vie sur un immense mensonge, il "change de peau pour échapper au mépris et au racisme" lots des classes défavorisées. Au fil des pages, nous assistons, impuissants, au lent naufrage de Coleman qui entraîne Faunia. Tous deux, victimes de leurs lourds secrets, tentent de chasser leurs démons. Associer et unir dans une passion ravageuse deux personnages aussi dissemblables que Coleman, professeur d’université à la retraite et Faunia, jeune femme de ménage, au passé sordide et dédiée à la traite de vaches à ses heures ne pouvait que heurter les bien-pensants de la petite ville universitaire provinciale où ils habitent.
Maître du sarcasme, avec un style décapant, Philip Roth continue de régler ses comptes avec le puritanisme galopant, les séquelles du Viet Nam, le racisme coriace d’une Amérique en crise. Les personnages se croisent, s’entrecroisent, se détestent, se jugent sans vraiment se connaître alors que l’auteur porte sur eux un regard bienveillant sans l’ombre d’un ton moralisateur. Il juge seulement cette Amérique triomphante et malade de ses idées préconçues et de son puritanisme hypocrite.
Philip Roth conclut son roman par ce qui pourrait résumer son obsession : « Le cœur des ténèbres humaines est inexplicable ».
<<< Séance précédente : «La vierge froide et autres racontars» «L'évangile selon Pilate»
Séance suivante >>> : «Le paradoxe de Fermi» «La patrouille du temps»