Séance spécial Stefan Zweig : « Le joueur d'échecs » plus un ou plusieurs livres de l'auteur au choix. Est-ce l'enthousiasme soulevé par l'auteur, est-ce la nouvelle formule, la soirée a été agitée, désordonnée, mais appréciée dans son joyeux tohu-bohu. Pour ma part, je préfère, même si c'est au détriment de la spontanéité, une séance plus régulée où chacun fait effort d'autodiscipline pour écouter et être écouté de tous, ce qui ne fut pas trop le cas.
Zweig, auteur à dimension internationale, infatigable voyageur, eut deux passions : le monde des hommes et le monde de la littérature. Acteur d'une époque particulièrement foisonnante sur le plan culturel, dans la Vienne cosmopolite de fin de XIXème siècle, il eut la chance de fréquenter de brillants esprits et de pouvoir écrire à sa guise tous les genres : poésies, essais, biographies et nouvelles. Européen convaincu, il dénonça la stupidité de la guerre 14-18, puis quand dès 1933 ses œuvres furent brûlées en autodafé, il devint pessimiste sur le sort des démocraties, "pestilence des pestilences : le nationalisme qui a empoisonné la fleur de notre culture européenne" ; plutôt que d'être le témoin impuissant de la ruine et de la chute de son pays qu'il jugeait inéluctable, il préféra se donner la mort en 1942.
Sa lecture ou sa relecture fut un moment de bonheur pour les inconditionnels de Zweig et ceux qui l'ont découvert. Dans toutes ses nouvelles, force de suggestion, justesse des mots, mise en situation qui nous tient en haleine ; parfois le même scénario, récit enchâssé, une histoire dans une histoire avec un narrateur qui agit à la manière du psychanalyste : en position d'écoute, vrai pour le joueur d'échecs et pour 24h de la vie d'une femme.
« Le joueur d 'échecs » oppose 2 êtres totalement distincts : l'un d'une mécanique implacable, a fait du jeu d'échecs son métier, sa raison de vivre puisque sur tous les autres plans, c'est un être rustre et ignorant "étranger au monde de l'esprit" (peut-on alors parler d'intelligence ?). L'autre joueur, le Dr B ex-prisonnier des nazis, a découvert le jeu par hasard et en a fait sa raison de survie, pour ne pas sombrer dans la folie, à l'image de ces prisonniers qui se répètent inlassablement les poèmes, les textes sus pour ne pas sombrer ; mais cependant la folie le guette quand il se trouve confronté au paradoxe suivant : dédoublement de son cerveau pour accepter de jouer contre lui-même et inventer de nouvelles parties.
Ne faut-il pas y voir une métaphore de la situation politique de l'époque: la victoire des brutes sauvages froids et déterminés, de la machine de guerre contre le monde raffiné, civilisé et cultivé au-delà des frontières. Une lutte du Bien contre le Mal ? Ce jeu incarne les situations de conflit telles que : humain et inhumain, incertain et calculé, celui qui réfléchit et celui qui agit comme un automate. Il semble que l'auteur ait voulu nous décrire toutes les attitudes face au jeu en l'occurrence ici celui des échecs qui est un jeu guerrier « bataille, lutte » : on cherche à tuer son adversaire.
Dans les autres nouvelles évoquées dont la trilogie Amok, Lettre d'une inconnue, La confusion des sentiments, les recueils de nouvelles Brûlants secrets et Wondrak, ou encore 24h de la vie d'une femme où Zweig reprend le thème du jeu-folie, d'autres thèmes sont abordés tels que le secret, la passion amoureuse. Ses personnages sont comme frappés de malédiction dont ils deviennent prisonniers et sont plus victimes que pervers.
Pour en savoir plus et approfondir sa connaissance de cet auteur il faut lire son autobiographie : "Le monde d'hier" et la biographie de Dominique Bona : "Stefan Zweig".
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