« Un fils en or » roman de Shilpi Somaya est un ouvrage qui a le charme d’une « romance » entre Anil, fils d’une famille influente qui poursuit son internat de médecine dans une Université de Dallas, et Leena, fille d’un métayer pauvre qui est victime d’un mariage arrangé, violentée, traitée comme une esclave par sa belle famille. Les destins de ces deux « héros » se heurtent l’un et l’autre aux violences sociales : Anil au racisme de la société américaine, Leena à l’oppression des femmes et aux traditions culturelles en Inde. La facilité et le plaisir éprouvés par la lecture de ce roman n’ont pas suffit pour le faire apprécier. Il a été qualifié de « roman de gare », « à l’eau de rose », « superficiel », « emplis de poncifs », style « hollywoodien » par la grande majorité du cercle. Hormis les critiques sur lesquelles la majorité s’est entendue, certains ont été plus intéressés par la partie sur l’Inde, par le personnage de Leena qui fait voir la violence des traditions, par la manière dont se fait l’arbitrage des conflits au sein du village, tout en regrettant le quasi-silence fait sur le régime des castes. D’autres ont préférés la partie sur les EU, la description de la compétition dans les carrières médicales, l’adaptation des intellectuels indiens dans ces milieux qui les tiennent pourtant à l’écart et le regard qu’ils portent sur la brutalité, le manque de savoir-vivre des Texans.
J’ai jugé bon d’inclure dans ce compte-rendu la note de lecture de *Nicole Guignon qui, connaissant bien l’Inde, s’est employée à corriger les approximations du récit de Shilpi Somaya.
*Nicole est co-traductrice des deux ouvrages suivants :
Joothan de Omprakash Valmiki (autobiographie d’un intouchable)
Salam, un recueil de nouvelles de Omprakash Valmiki Editions L’Asiathèque
« Ce n’est pas un grand roman, c’est une romance, mais il raconte une histoire assez intéressante, celle des émigrés très qualifiés et des liens qu’ils gardent ou non avec leurs racines indiennes. D’ailleurs l’auteur est une NRI (non résident indian) qui vit aux Etats-Unis et elle parle de ce qu’elle connaît. Noter que les gouvernements indiens font tout pour rester en lien avec ces NRI. Ils ont droit, quelle que soit leur nationalité à un visa permanent dont le nom a varié, actuellement PIO (Person of Indian Origin).
L’histoire se passe dans le Gujurat, un état assez riche du nord-ouest de l’Inde. Il faut faire remarquer que ce qu’on appelle un village est plutôt de la taille d’une bourgade ou même plus en France. La famille du héros est visiblement la famille dominante du village. Les castes ne sont jamais mentionnées, sauf une fois ou le mot intouchable apparait pour désigner un groupe mal défini. Cela ne permet pas de rendre compte de l’organisation sociale, économique et territoriale du village. C’est un énorme manque dans la représentation qu’on peut se faire d’un village indien. On peut penser que toute l’action se passe entre « hautes castes ». Le pandit est évoqué vaguement mais ne domine pas la vie non plus. C’est un peu surprenant que la question du mariage des frères et de la sœur ne soit pas évoquée non plus. Il faut savoir qu’un homme n’est pas « complet » tant qu’il n’est pas marié. Quant à une fille, ses chances de se marier diminuent rapidement avec l’âge.
L’affaire du mariage arrangé est représentative d’une pratique assez répandue. Les contraintes d’endogamie de caste obligent les familles à chercher le bon parti par tous les moyens. Les journaux ont de pleines pages d’annonces matrimoniales classées par religion et par caste. Souvent cela passe par des intermédiaires. La famille du garçon visite celle de la fille, celle-ci est montrée et l’affaire est discutée, surtout la dot qui est illégale mais généralement demandée sous forme financière ou d’objets divers. Pour les hindous, il y a intervention du pandit pour étudier les horoscopes des futurs époux. Une incompatibilité peut entraîner la rupture mais il y a des « remèdes » rituels. Le pandit doit décider du moment propice pour le mariage, jour et heure, ce qui explique que la cérémonie puisse avoir lieu à des heures étranges. La mariée va vivre dans la famille de son mari. C’est encore ce qu’on appelle une « joint family », c'est-à-dire que toutes les générations vivent ensemble, au moins les parents, leurs fils, belles filles et petits enfants. La jeune bru est souvent considérée comme au service de sa belle-mère, ses conditions de vie dépendent donc entièrement du caractère et des exigences de celle-ci qui décide de tout dans la maison. Le fait que Leena soit traitée en servante n’est donc pas exceptionnel dans le contexte.
Ce modèle évolue et se transforme en ville avec l’apparition de familles simples mais le roman parle d’un village et je reste dans ce contexte.
Le meurtre de jeunes mariées dont les parents n’ont pas payé la dot existe et est généralement connu. Tenter de la tuer en la brûlant est le plus fréquent. Les femmes portent le plus souvent des saris de tissus synthétiques car ils sont moins chers que le coton. Elles font la cuisine, accroupies près d’un foyer ou d’un réchaud et c’est soi-disant des accidents liés à ces conditions réelles qui expliquent le grand nombre de décès par brûlure. Il peut être ensuite difficile de prouver le meurtre. De plus, la police indienne n’a pas très bonne réputation. Dans les villages elle est forcément liée au système dominant par solidarité de clan, de caste ou par corruption et ne protège pas bien les plus faibles.
J’ai vu récemment un documentaire sur Arte. Un homme parlait de ces meurtres de la belle-fille comme d’une chose passée. Le déficit de filles lié à des avortements ciblés de fœtus féminins ou à la maltraitance des filles provoque aujourd’hui des problèmes pour les hommes qui doivent se marier pour exister socialement et génère un trafic. Mais apparemment l’individualisme empêche les familles de changer leur comportement pour le bien de la communauté.
Une femme qui quitte son mari, quelle qu’en soit la raison, ici d’avoir failli être tuée, est déshonorée et surtout elle déshonore sa famille. La pression sociale est extrêmement forte. On voit là que le père en vient à se suicider. Pour les hindous traditionnels, le remariage des veuves n’est pas possible. Il est possible dans les castes intouchables (cf. Joothan). Celui d’une « divorcée » encore moins. D’ailleurs lorsque le héros propose à Leena de partir avec lui aux USA, la question juridique n’est pas abordée.
Je n’ai jamais vu de médiateur semblable au héros ou son père. Cette fonction est souvent assurée par un panchayat. Il en existe de plusieurs sortes, les panchayats de caste et les panchayats de village. C’est une assemblée restreinte (les cinq dit le nom) de personnes plutôt âgées qui règle les problèmes de la caste ou du village. Ils ont un grand pouvoir social et peuvent être plus ou moins traditionnalistes.
Bref, ce roman donne une image extrêmement édulcorée d’un village indien. C’est comme si on disait que les romans d’Hector Malot donnent une idée juste de la condition ouvrière au 19ème siècle ! »
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