Tous avons souligné la difficulté d’accès à ce roman, le manque de fil conducteur de la narration, sa construction baroque faite d’allers-retours répétés dans le temps. Au cœur, trois personnages que rien ne prédestinait à se rencontrer : le «vieux gringo », auteur de célèbres nouvelles sur la guerre de sécession, qui revendique le droit de choisir sa mort, en l’occurrence, celle d’un combattant dans la guerre révolutionnaire mexicaine ; Harriet jeune femme américaine, puritaine, qui fuit sa mère et son fiancé pour venir instruire les enfants de riches propriétaires d’une hacienda ; Tomas Arroyo (du nom de sa mère mais dont le père n’est autre que Miranda lui-même) général autoproclamé d’une troupe constituée des peons, les paysans sans terre de l’hacienda des Miranda . Ces trois personnages, qui semblaient au départ enfermés dans leur destin respectif, se trouvent au final liés dans la mort que le vieux gringo était venu chercher. Celui-ci est tué, assassiné ont dit certains, par Arroyo parce qu’il ne se soumet pas à son autorité : il refuse de tirer dans le dos d’un officier de l’armée fédérale, il veille sur Harriet qu’Arroyo attire dans une sensualité qu’elle n’a jamais connu. Arroyo qui ne combat pas véritablement pour la révolution mexicaine mais pour récupérer l’hacienda où il est né, obsédé par une revanche contre l’Amérique, tue en quelque sorte celui qui la représente. Mais lui-même sera exécuté par Pancho Villa pour n’avoir pas respecté les règles militaires : tuer l’ennemi dans le dos et non de face. Le cadavre du vieux gringo est donc exhumé et placé debout pour être exécuté « proprement ». Harriet trouvera dans cette fin macabre l’occasion de faire passer cet homme comme son père, de le faire célébrer comme un héros et ainsi de réhabiliter son propre père, déclaré mort à la guerre de Cuba, mais vivant avec une « négresse ».
En arrière plan, la volonté irrépressible d’un peuple de récupérer leurs terres mêmes si celles-ci sont des déserts arides où « il ne pousse pratiquement rien … hormis le souvenir et la rancœur », volonté et désir constamment affirmés. En toile de fond aussi, la quête d’identité d’un peuple qui ne s’est jamais regardé dans un miroir. La scène de prise de possession de la salle de bal des Miranda entourée de miroirs où tous ces paysans « invisibles » se découvrent est, sans doute une des plus riches dans ce livre où la violence et la mort sont omniprésentes.
La majorité d’entre nous n’a guère aimé ce livre trop baroque où les personnages peu consistants, peuvent comme Arroyo tenir des discours philosophiques dans un style sophistiqué alors qu’il est analphabète, et au final peu crédibles. Peu d’évocations concrètes de la révolution mexicaine elle-même, des lieux où se déroule l’épisode relaté. Plusieurs ont pensé que les personnages secondaires étaient les plus intéressants : le jeune Pedro la Mangouste, la femme au visage lunaire.
Rendre compte d’un roman aussi foisonnant d’éléments non structurés, multidirectionnel et plutôt déconcertant, est un exercice difficile.
Ceux qui connaissent bien l'oeuvre de Carlos Fuentes ont signalé deux ouvrages
plus marquants : Terra Nostra et La mort d’Artemio Cruz
<<< Séance précédente : «N'espérez pas vous débarrasser des livres»
Séance suivante >>> : «Naissance d'un pont»