Est-ce le hasard mais cette séance nous a fait faire d'incessants aller et retour d'un point à l'autre , un peu décousu mais très riche.
Le Clézio me rappelle Modiano. L'enfance et l'errance sont au premier ce que le mystère de ses origines et l'époque de la collaboration est au second. Tous deux sont en quête permanente et dès qu'une de leurs oeuvres s'éloigne du sujet de leurs préocuupations , l'oeuvre suivante y revient à grands pas . Hasard n'échappe pas à ce constat. Le roman narre la relation de Juan Moguer ex-richissime et ex-célébrité du monde du cinéma avec Nassima.
La 1ère nouvelle a un peu déçu les aficionados , trop de redites , des longueurs , on a l'impression que Le Clézio réécrit sans cesse son histoire , il ne se passe rien , le vide , l'ennui et après l'enchantement de désert ce fut pour Hasard un énorme baillement . 15 ans séparent les 2 nouvelles , est -ce donc l'usure du temps ? car la 2ème nouvelle écrite en 1985 a en général davantage plu , lien évident entre les 2 mais traité sur un ton plus personnel , une implication de l'auteur. Dans la 1ère, l'intérêt majeur réside dans le rapport Nassima/Moguer , une fin attendue : le bateau coule et toute sa splendeur ira se cacher au fond des eaux.
On a peu parlé des livres , peu avaient tout lu , on a évoqué Ou césar ou rien pour inciter à découvrir l'oeuvre majeure de Montalban qui reste pour le spécialiste « Le pianiste » (en dehors de Pepe Carvalho).
Hasard
Nassima est la fille de Nadia et Kergas originaire des Antilles. Est ce l'appel
au large, en touts cas kergas a largué les amarres , laissant femme
et enfant pour partir sur un voilier. Nassima erre souvent sur les quais de
Villefranche en espérant le recroiser . En même temps Nadia assume
son rôle
de mère seule responsable et tient son rôle d'infirmière
au coeur aigri , elle ne voit pas le temps qui passe et ne voit pas sa fille
qui grandit et s'éloigne d'elle.
Un jour , Nassima croise le regard du propriétaire d'Azzar , un superbe voilier . Juan Moguer est un cinéaste bien connu de modeste origine espagnole , il a connu le succès et est encore très populaire mais ses frasques amoureuses et ses débauches l'ont peu à peu éloigné de sa femme , de sa très riche belle famille.
Nassima se retrouve passager clandestin du voilier en partance pour l'inconnu . A bord , Moguer et son capitaine , Andraimana . Réaction de rejet puis peu à peu Nassima est admise et entre Moguer et la jeune fille s'instaure sinon une complicité , une acceptation mutuelle comme s'ils s'étaient toujours connus. Parallèle de situation , Moguer pourrait être le père de Nassima , père qu'elle recherche toujours et Nassima pourrait être la fille de Moguer qui s'est éloignée de son père.
Les livres de le Clézio sont toujours les fruits des hasards de rencontres , de croisement de destin , des recherches perpétuelles. Ici les femmes sont belles , des airs de sauvageonne. L'innocence , la fraîcheur , la vivacité de Nassima ont raison de la brusquerie , la recherche de solitude de Moguer , comme dans d'autres oeuvres , le temps s'est arrêté , jamais d'allusion au monde qui nous entoure : voile de mystère et de secret.
On imagine bien Le Clézio , vivant en marge , voyageur infatigable. On peut se demander ce qu'ils cherchent sur ce voilier , en dehors du temps .
Azzar : le secret en arabe.
Escale aux Caraïbes , à la pointe des Châteaux , à Pointe à Pitre
, la jeune fille est débarquée sans ménagement . Peu de
détails
sur les circonstances de son rapatriement . Nassima a juré de ne rien
dire mais elle raconte ...
Or , ce qu'elle raconte et qui est pris comme une tentative de rapt se retourne contre Moguer qui connait de nouveaux déboires en Colombie à Medellin où une de ses proies se jette par la fenêtre.
De retour à Villefranche Moguer retrouve Nassima. Elle a grandi a retrouvé son copain Chérif mais s'est encore plus éloigné de sa mère. Elle a fait une tentative d'études d'infirmière. Moguer a échoué au large du port de la Spézia. Son bateau est inutilisable et il se retrouve peu à peu ruiné , ignoré de tous. On assiste à sa lente déchéance jusqu'au jour où Nassima décide de ne plus le revoir , citer la dernière phrase du bateau somptueux qui coule au fond de l'eau.
Angoli mala
Légende indienne selon laquelle un homme devenu sauvage se serait retiré dans
la forêt et vivrait en véritable bête sauvage , tuant ,
effrayant la population . Seul le Bouddha aurait réussi à le
remettre sur les rails.
Cette 2ème nouvelle se passe en Amérique du Sud au Brésil (frontière de la Colombie et du Brésil). Le héros , jeune indien , revient vivre sur ses terres d'origine. Il croise Ana , fille d'un garde noir et d'une indienne. Il devient obsédé par sa présence et leur amour est réciproque. Il s'allie aux contrebandiers . La vie est rude au bord du fleuve . Ana ne cesse de songer à quitter ce pays hostile. Racisme entre population noire locale et les indiens , race dégénérée qui noit son ennui dans l'alcool. Un soir , la famille d'Ana est assasinée , la jeune fille parvient à fuir pour se noyer dans le fleuve sous les coups des balles . Le jeune homme , fou furieux , se réfugie dans la forêt et peu à peu s'éloigne de toute vie civilisée. Les pires légendes courent sur son compte . Seul le sergent local parvient à le déloger de sa grotte mais c'est pour mieux le faire abattre.
Nouvelle plus enlevée , plus de rythme , le style est plus alerte , c'est une vraie histoire , l'auteur s'est investi dans le personnage central. Lien entre les deux nouvelles ,aller et retour allusion au film « la forêt d'émeraude » de John Borman.
Ou César ou rien
La saga des Borgia , famille originaire de Valence (Espagne) qui a fourni 2
papes , des cardinaux , étendu sa puissance , sa soif inassouvie de
pouvoir , de puissance , la vision éclairée de Alexandre VI sur
la création d'un état fort : la fin du système féodal
, le clan qui préfigure les clans de maffia où les liens familiaux
sont plus forts que tout.
2 évènements majeurs de cette époque : la réforme , la naissance d'un Etat fort. Les personnages de Léonard , Michel Ange , Machiavel apparaissent en second plan . Livre historique ou histoire romancée. L'auteur le revendique en tant qu'ouvrage historique , d'où son style narratif , linéaire , bien qu'avec des retours en arrière, un peu confus. Le teme de poison n'est jamais employé , tout est suggéré.
L'avantage majeur de l'oeuvre est de porter à la connaissance des faits oubliés et d'inciter à l'approfondissement , ce qui en soi est déà louable. Est ce un extrait du livre. Non , ça pourrait , dans le ton. Un autre ouvrage contemporain celui-là dénonce les excès , les complots , les trahisons, du Vatican moderne. Rien n'a t-il changé ?
Faire un parallèle avec le choix précédent : des dictatures
africaines on passe en revue les abus de pouvoir au temps des papes sous la
Renaissance Italienne
Là où on pouvait à la rigueur trouver sinon des circonstances
atténuantes ou au moins des justifications là , rien ne peut
expliquer ou excuser le climat d'orgies et d'excès qui régnait à cette époque
, si ce n'est encore la volonté de puissance , d'écraser
les plus faibles et les abus liés à l'exercice du pouvoir
: « Si ce n'est pas moi qui t'écrases , je serais écrasé ».
Je n 'existe que par le pouvoir que j'incarne et je suis condamné à devenir de plus en plus puissant , rien ne me protège que la puissance que j'incarne. Le climat orgiaque (dans Borgia il y a orgie ) serait inimaginanble de nos jours ou en tout cas , discrétion , on parle de relâchement des moeurs , on peut se demander lesquelles , on est devenu très prude , même les ballets roses sont très pudiques à côté de ce qui est décrit. L'auteur s'est plu à raconter les faits de façon très naturelle , les moeurs de l'époque.
Tout est centré sur le personnage central : Rodrigue qui représente le pouvoir spirituel et César « César ou rien » qui représente le pouvoir militaire : la force. L'auteur ne s 'étend pas particulièrement sur les nuances du génie politique , il est cité , Machiavel n'est pas un personnage essentiel bien que le livre commence par son apparition et se termine pratiquement par son évocation, l'esprit de la famille est mise en avant : le clan. Le personnage du « Prince » aurait été inspiré par César Borgia. Il régnait un climat de suspicions , permanent , des intrigues , des complots , des trahisons.
La seule crainte des sujets en représailles était l'excommunication.
Les papes : Calixte III , Alexandre VI 1490-1503 ( 2 Borgia) , Jules II 1503-1513,
Della Dovere protecteur des arts et des artistes : Michel Ange.
César tombe à partir de la mort de son père et sur un
motif « léger » qu'il aurait dû verrouiller
: Sa belle soeur est la cousine des rois catholiques: Isabelle de castille
et ferdinand d'Aragon.
César est marié après avoir été cardinal
puis défroqué à la fille de Jean d'Albret
L'auteur décrit l'opposition entre le vivant et le mort
en insistant sur la décomposition des corps du pape et d'Isabelle la
femme de Charles Quint.
Est ce une reconstitution historique ?
Seul Juanito est resté fidèle.
Personnage ambigüe et complexe de Lucrèce : une femme , elle pleure plus que les autres personnages , elle n'a pas vraiment un rôle important dans l'échiquier contrairement à ce que dit son père ou alors c'est mal perçu, elle parvient à peine à maitriser Ferrare . « description du mari par son frère ». L'auteur n'évoque pas les empoisonnements , on les devine , les choses ne sont pas dites clairement , elles sont évoquées par crainte d'avoir à les justifier historiquement , c'est avant tout un roman.
Ses points forts : le sujet passionnant, la description de la féodalité de l'époque et la vision du monde moderne du pape, la fin des cités-règnes. Ses points faibles : Parfois son manque d'évocation des personnages , style lourd et pompeux , parfois confus , faire des retour en arrière pour suivre l'intrigue et manque d'analyse fine de la stratégie politique , c'est dit plus que démontré , est ce dû à la traduction ? On se pose parfois des questions auxquelles on n'a pas de réponse , ou bien que sont devenus certains personnages ?
Autre parallèle avec le précédent ouvrage : une certaine fatalité des choses , la logique du pouvoir qui mène inexorablement aux dérives du pouvoir et au cynisme et l'aveuglement , quitte à sacrifier sa propre famille. Les crimes sont banalisés , les climats de violence sont banalisés , tout n'est que cynisme et perversion , un jeu, un drôle de jeu morbide à somme perdante puisque nous sommes condamnés à crever sur cette terre. Qu'est devenue la foi religieuse ? Les moeurs politiques et sociales se sont sacrément émoussées mais les morts politiques d'aujourd'hui sont -elles aussi féroces que les vrais assassinats de l'époque. Aujourd'hui , on fait de la guerre virtuelle , parle t-on de la même chose ? Est ce que le vrai peut revenir ou va -t-on définitivement vers une évolution de l'espèce vers le monde du virtuel ?
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