On peut dire que "La tante Julia et le scribouillard" - qui se déroule à Lima au milieu des années 50 - n’a laissé personne indifférent. Mais les impressions des lecteurs du cercle sont fortement contrastées : pour l’essentiel, il y a ceux qui l’ont beaucoup aimé et ceux qui l’ont détesté. Tous, en tout cas, l’ont trouvé original et ont salué l’imagination de l’auteur et son indéniable talent qui lui a permis d’écrire ce roman complexe et foisonnant. Certains ont qualifié le livre de roman baroque, d’autres d’original, voire d’excentrique. Cette impression est surtout due au double aspect du livre : un récit linéaire autobiographique sur la vie de jeune homme de l’auteur et son amour pour sa tante par alliance*, entrecoupé de chroniques radiophoniques, sans lien avec l’histoire principale. Cette absence totale de rapport entre les deux éléments constitutifs du livre a gêné bon nombre de lecteurs qui ont trouvé le cheminement difficile à suivre.
La plupart d’entre nous a été sensible à l’humour de Vargas Llosa, mais quelques-uns ont déclaré le trouver incompréhensible. L’invention de mots rocambolesques, notamment, a parfois déconcerté. L’ambiance locale sous-jacente (et non dénuée d’humour) a été soulignée, surtout par ceux qui connaissent peu ou prou l’Amérique Latine : les relations familiales liméniennes typiques, l’ambiance des quartiers plus ou moins huppés de la ville et les moqueries récurrentes à l’égard des Boliviens et des Argentins. D’autres n’ont pas du tout découvert le Pérou avec ce livre. Il est à noter que trois personnes ont préféré ce roman à « La fête au bouc » du même auteur que nous avions lu au cercle en janvier 2006. Trois autres lecteurs se sont arrêtés à la moitié du livre et un l’a lu deux fois presque d’affilée. Ceux qui sont arrivés jusqu’au chapitre où l’auteur et Julia cherchent partout le maire corrompu qui voudra bien les marier - car lui n’a que 18 ans et a besoin d’un accord parental pour convoler - l’ont tous trouvé raté, voire ridicule.
En ce qui concerne les personnages, nombreux sont ceux qui les ont reconnus « hauts en couleur » et notamment le fameux chroniqueur radio, Pedro Camacho, de plus en plus excentrique, comme ses histoires qui deviennent complètement délirantes à la fin, et dont certaines sont carrément macabres. Camacho s’emmêle tellement les pieds dans ses différents récits qu’il en deviendra fou. Ses personnages changent de rôle et/ou de nom d’une histoire à l’autre, et les auditeurs ne s’y retrouvent plus (et lui non plus, bien sûr !). D’autres personnages sont également bien croqués, une lectrice a souligné le sens de l’observation très aigu de l’auteur. L’un d’entre nous a comparé le livre à « une comédie humaine » à la Balzac mais en moins passionnant.
Plusieurs lecteurs ont préféré les histoires radiophoniques diverses au récit autobiographique de l’auteur. Mario Vargas Llosa aurait-il plutôt dû réaliser un recueil de nouvelles et laisser de côté le récit de sa jeunesse ? La question reste ouverte, d’autant plus qu’il avait écrit auparavant un livre de nouvelles, « Les caïds ». Ce roman invite également à se poser des questions sur le rapport entre l’écrivain et le chroniqueur ainsi que sur la nécessaire distance entre écriture et réalité. Pedro Camacho devient-il fou parce qu’il se perd dans ses personnages et leurs histoires ? Et jusqu’où l’auteur s’identifie-t-il au chroniqueur ?
A noter la réflexion d’une lectrice qui n’a pas aimé et qui a parlé du « ressenti » à propos du nombre de pages d’un livre : « Pour moi, je dirai : 2000 pages » !
_________________________________________________________
*Julia Urquidi, la sœur de la femme de son oncle, de 10 ans son aînée et avec laquelle il a vécu presque 10 ans, entre 1955 et 1964, en bonne partie à Paris. NB : dans le livre, il dit qu’il a 18 ans et que sa tante a 32 ans...
<<< Séance précédente : «Article 253 Code pénal»
Séance suivante >>> : «La malédiction d'Edgar»