"Neige" avait été proposé il y a quelques années
(il est sorti en 2005), mais c’est seulement maintenant que nous l’avons
lu.
Le diagnostic général est qu’il s’agit d’un très
bon livre et que le prix Nobel attribué à Orhan Pamuk était
pleinement
mérité.
L’histoire se déroule dans une ville de Turquie appelée Kars, à la
frontière de l’Arménie et de la Géorgie. L’action
principale se passe en 1980, en trois jours, avec l’arrivée d’Allemagne
d’un poète, Ka à la recherche d’une camarade d’université,
Ipek, d’une très grande beauté. A peine arrivé, la
neige ne cesse de tomber, isolant la ville du reste du monde.
1980 est l’année d’un coup d’Etat militaire, destiné,
au nom de la tradition kémaliste, d’empêcher et la gauche
et les islamiste de l’AKP de prendre le pouvoir, et contenir les volontés
d’indépendance des kurdes. Kars sous la neige apparaît comme
une scène dans laquelle ces différents protagonistes jouent leur
rôle, en particulier les islamistes et les kémalistes, qui apparaissent
comme les seules forces capables d’avoir un poids historique important.
Dans les 3 jours de la présence de Ka à Kars (et cependant plus
de six-cent pages), nous apprendrons que les protagonistes majeurs de la pièce
passent de manière fluctuante d’un respect de la loi laique à des
tentations islamistes, tentations incarnées par Necip, un ami de Ka, mais
surtout par Lazuli, également ami de Ka, mais aussi ancien amant d’Ipek,
et objet d’adoration par la jeune sœur de celle-ci., Khelife.
Quand Ka arrive en ville, il apprend que le maire a été tué,
probablement par les islamistes, puis Pamuk met en scène un dialogue entre
un fervent d’Allah et le directeur d’une école à qui
il reproche d’interdire l’accès aux femmes voilées
et le tue. Il y a une scène au théâtre où des soldats
tuent des étudiants prédicateurs qui protestaient contre le contenu
d’une pièce kémaliste. Le bruit court dans la ville qu’un
sirop préparée par une kurde et vendu au comptoir de sa boutique
serait empoisonné. Bref, des dizaines d’indices nous indiquent,
dès le début du livre, la force des oppositions idéologiques
et ethniques dans Kars, jusqu’au dénouement final, le départ
de Ka et son assassinat en Allemagne, six mois plus tard.
Cette situation tendue entre plusieurs groupes et différents sens de ce
qu’il est légitime de faire permet à Pamuk d’enfiler
des morceaux de bravoure d’une grande intensité dramatique. Par
ailleurs, comme le traduction est excellente pour un non-turcophone, chaque détail
et chaque nuance a ravi la plupart des lecteurs du cercle.
Certains lecteurs ont eu du mal à entrer dans le roman, trop foisonnant.
D’autres ont tenu à souligner la différence entre la côte
ou les capitale turques ( Ankara et Istamboul) et l’arrière-pays
dont Kars est l’image. D’un côté une grande modernité,
de l’autre des conflits très ancrés dans le passé.
Certains lecteurs se sont intéressés aux personnages, le caractère
indécis et opportuniste de Ka a paru cotonneux, aux uns, kafkaïen à d’autres.
Les femmes, et en particulier la très belle Ipek, sont apparues comme
ayant plus de caractère que Ka et plus d’intelligence politique
que ses amis, islamistes ou non.
Il y en a parmi nous qui pensent que le nœud de l’intrigue est à chercher
du côté du désir et de l’amour, autant ou plus que
dans la séduction pour une idéologie politico-religieuse.
Beaucoup de lecteurs ont souligné la triple caractéristique d’une écriture
poétique, dramatique et ironique. Qui permet à la fois d’entraîner
le lecteur comme dans un roman réaliste et tenir les choses à distance
comme dans un conte. Bref un roman très bien construit et à beaucoup
d’égards palpitant.
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