Hormis les scènes de torture qui ont perturbé certaines d'entre nous, La fête au bouc de Maria Varga Llosa a été accueilli favorablement et a même enthousiasmé la plupart d'entre nous : style agréable, classique, détonant de la part d'un écrivain sud américain et qui a vécu longtemps à Paris et à Londres et donc empreint de culture européenne . Roman bien agencé où les chapitres alternent selon un tempo bien rôdé : le secret d'Urania, les dernières heures de Trujillo, l'attente des conspirateurs. Le rythme s'accélère après l'attentat, et bascule dans l'horreur qui a suivi la mort de Trujillo, la recherche des complices, leur arrestation et les tortures.
Trujillo, dépeint comme un personnage d'opérette pour les uns, un sinistre individu pour les autres et n'est pas sans rappeler des dictateurs célèbres, par son aspect obsessionnel de propreté. Livre de réflexions sur le pouvoir et la servitude, non sans rappeler « la servitude volontaire » de la Boëtie, plus qu'un roman sur la dictature. Les conspirateurs sont touchants dans leur maladresse, incapables de gérer l'après Trujillo, ils deviennent inertes, angoissés et inhibés et ils tombent dans un piège qui se referme sur eux. Mort, Trujillo continue à fasciner, et paralyse toute action. Même le général Roman , proche de Trujillo, qui a participé à la préparation de l'attentat, n'a pu ou su réagir et n'a pas fait ce qu'il devait faire.
Le roman a fasciné le lecteur, troublé par la portée du culte de la personnalité que peut exercer un didacteur sur son entourage, les rendant serviles et annihilant toute pensée critique. Comment est-ce possible d'être asservi à ce point ? ce qui n'est pas sans rappeler à un moindre niveau des situations vécus en entreprise où chacun essaie d'obtenir les faveurs du chef.
L'auteur quant à lui est fasciné par la politique qu'il a exercée sans grand succès au début des années 90 et il est revenu à sa véritable vocation d'écrivain. « Oui, il est très différent de faire de la politique en tant qu'écrivain, et d'en faire comme professionnel, pour arriver au pouvoir … je crois qu'on ne peut faire de la politique seulement pour des raisons morales, il faut aussi en avoir l'appétit » précise-t-il dans un interview.
Quand on sait que le président Balaguer a su tirer parti de la situation et est resté au pouvoir plus longtemps que la période Trujillo, sous la bénédiction des américains, cela fait froid dans le dos et nous renvoie au sacrifice inutile de ces jeunes conspirateurs.
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