Deux romans basés sur des témoignages de faits datant de 30 ans dans des circonstances comparables : camp de rééducation durant la révolution culturelle sous Mao pour l'un d'eux, séquestration par les khmers rouges pour l'autre ; là s'arrête la comparaison. Les deux romans sont déclinés de manière totalement différente mais aucun des deux ne s'est attaché à essayer de nous émouvoir sur leur sort.
Dai Sijiie l'auteur de "Balzac et la petite tailleuse chinoise" a choisi le mode de la fable et présente avec humour la confrontation de deux jeunes fils de bourgeois envoyés à la campagne la plus reculée pour travailler dans des mines : on aurait pu avoir droit à une histoire sombre sur les persécutions politiques, les deux héros glorifient le droit à la connaissance et à la poésie, amoureux de la petite tailleuse, ils l'initient aux joies de la vie dans laquelle elle se jettera après que Balzac lui eut appris que "la beauté d'une femme est un trésor qui n'a pas de prix". Ici, pas de recours au pathétique, les personnages truculents (un chef de village amoureux d'un réveil, un meunier ventripotent) se croisent comme dans les romans picaresques, le trait est parfois forcé mais n'oublions pas que l'auteur est avant tout un cinéaste qui s'est plus appliqué à décrire des situations que de juger des faits : livre multi-facettes où l'on voit comment un régime qui se veut oppresseur peut être battu en brèche.
La plupart d'entre nous a porté un regard sévère sur "Le portail" qui avait besoin peut-être de l'éclairage de l'auteur, qui fort heureusement est venu en fin de soirée animer la 2ème partie du débat.
Le portail est écrit sur un ton beaucoup plus sérieux et comporte deux parties : d'abord la capture de l'auteur en 1971, puis les 22 jours d'affolement qui ont précédé son expulsion de l'Ambassade de France en 1975 en même temps que des centaines d'occidentaux suite à la prise de Phnom Penh par les khmers rouges. François Bizot s'est s'est lancé dans l'écriture du roman après avoir appris que Douch, son geôlier, devenu plus tard homme de main de Pol Pot était arrêté et allait être jugé pour crime contre l'humanité; Douch à qui il doit la vie, Douch persuadé à l'époque de l'innocence de son prisonnier, réussira contre l'avis de ses chefs à le faire libérer, mais Douch est devenu par la suite responsable de la mort de 40 000 cambodgiens.
Tout au long de son livre plane une lancinante question : comment un homme "ordinaire" épris d'idéal peut-il sombrer dans la folie la plus sanguinaire pour devenir le responsable des crimes les plus abjects ? Par quelle monstrueuse métamorphose est-il passé ? Jamais l'auteur ne juge ou porte un regard sévère sur ces bourreaux, il avoue même une "indéfinissable camaraderie" qui le lie à Douch, puis plus tard une certaine complicité avec Nehm. François Bizot en spécialiste de l'art bouddhique asiatique était venu au Cambodge, attiré par les rites et les mystères de ce peuple replié sur ses traditions. Il n'était ni pour ni contre les conflits en cours : "Ma pensée était ailleurs". L'auteur a conclu sur l'inexplicable ambiguïté de l'homme à la fois vainqueur des monstres et monstre lui-même.
Si le premier livre est un hymne à la vie, le second est une véritable leçon de vie.
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