Bel hommage de Jorge Semprun sur un premier ouvrage de Soazig Aaron. « J’attendais depuis quelque temps un récit comme Le non de Klara, je ne m’attendais pas à cette qualité...».
Car nous sommes à l’orée de la disparition des témoins. Contrairement à « L’écriture ou la vie » que nous avions lu et commenté au CERCLE, ce livre n’est pas un ouvrage de plus sur la déportation mais traite de façon originale, du thème douloureux du retour à la vie après la déportation et les camps de concentration. Fiction ou témoignage par témoins interposés, cette question a été soulevée, tant l’acuité des propos, la justesse du ton nous a tous frappés. L’auteur a t-elle connu la famille de la narratrice ou celle de la revenante ? Ou est-ce une pure fiction qui permet à l’auteur de faire incarner par Klara, un concentré de tous ceux qui comme elle, ont fait de leur refus à tout la seule possibilité à leur survie charnelle.
Récit écrit sur un mode original, sous forme de journal tenu tout au long du mois d’août à Paris par Angelika, la belle soeur et amie qui retrouve une Klara qui ne dort pas, parle par bribes, refuse la nourriture, les retrouvailles avec ses anciens amis, refuse de voir sa petite fille et le retour à la vie d’avant, comme elle a refusé de tout son corps l’abjection, l’horreur et c’est ce non qu’elle a toujours prononcé qui fait qu’elle est encore là, vivante ou plutôt souvivante.
Par de petites phrases terribles, Klara suggère et fait ressurgir l’ampleur de l’horreur. Tout au long du livre, Angelika et Klara se croisent ; la première désespérée de ne pouvoir la comprendre et l’assister s 'incline devant les incohérences de Klara qui s’exprime par bribes, puis le ton peu à peu s’inverse, on sent une montée d’impatience d’Angelika surtout quand elle comprend que Klara ne reviendra pas sur sa décision de fuir en Amérique pour une re-naissance, elle attend le jour du départ alors que Klara se laisse volontiers aller à des flashes sur un ton plus neutre, détaché.
« A l’intérieur de moi, je pue la mort….je ne veux pas qu’elle renifle cette odeur… Elle est abandonnée par moi si je suis vivante. Moi morte, elle ne subit aucun abandon. C’est ce que je veux »c’est ainsi que Klara argumente son refus de prendre en charge sa fille pour mieux la protéger.
Le livre de Soizig Aaron nous renvoie à nous-mêmes : notre impuissance et notre désarroi devant ce que nous n’avons pas connu. Comment accueillir Klara à la vie, elle qui se sent honteuse d’avoir survécu, elle qui refusait de se revendiquer juive « c’est eux qui vont gagner ».
Nos divergences de vue ont porté sur deux thèmes : ce livre pourrait-il s’appliquer à tous les retours de survivants aux génocides ? Non disent les farouches défenseurs de l’idée que le nazisme fut unique en tant que seule entreprise scientifique organisée de déshumanisation, puis sur l’utilité de la scène finale en Allemagne, scène jugée superflue et en rupture de ton pour les uns et indispensable pour les autres, pour comprendre que ce « rite sacrificiel » est la condition de survie de Klara. A citer également quelques anachronismes (langues mortes, le nucléaire).
En conclusion, beau débat sur un ouvrage dont le thème au départ avait rebuté pas mal d’entre nous.
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