Dans ce (très) court roman de jeunesse (39 ans) R. Tagore décrit les émois amoureux de Charulata, jeune bourgeoise oisive, et négligée par son mari, dans les Indes coloniales de la fin du XIXème siècle. Le mari, Bhupati,, est si obsédé par la rédaction de la revue politique en langue anglaise qu'il a fondée qu’il en néglige l’éveil féminin de son épouse et accueillera chez lui, pour lui tenir compagnie, Manda, femme de son beau frère et son cousin Amal, jeune étudiant narcissique et parasite sans vergogne. Par des concours d’écriture de poèmes, Amal prendra Charu (lata) sous son influence pour tirer d’elle tous les avantages matériels possibles sans s’inquiéter du fantasme amoureux qu’elle développera bientôt à son égard.
L’accueil de cet opuscule par les membres du Cercle a connu des points de convergence qui n’excluent pas des divergences également marquées. La quasi unanimité des lecteurs a loué la beauté, la délicatesse de l’écriture (c’est bien le moins, de la part d’un poète aussi reconnu que l’auteur) ainsi que la finesse que Tagore apporte à décrire la vie dans cet univers clos, traditionnel de la civilisation indienne, réservé aux femmes : le gynécée.
Certains qui se sont sentis «entrainés, introduits dans une autre civilisation» y ont vu une ‘intrigue de libertinage qui choque la société’, là où d’autres n’y ont lu qu’une certaine ‘niaiserie datée’. Ce vaudeville (très retenu... à peine suggéré) a pu rappeler l’ «Ecornifleur», dans lequel J. Renard, à la même époque (1892), mais en Normandie, met en scène un jeune parasite qui parvient à tirer son confort d’un ménage bourgeois dont il séduit la fille par désœuvrement.
La psychologie des personnages a interpellé certains qui ont apprécié une description approfondie des sentiments d’une femme qui souffre de l’indifférence d’un mari encore jeune, qui porte plus d’attention à la vie de son journal qu’à la féminité nouvelle de celle-ci, puis qui s’exalte d’un fantasme amoureux non partagé vis-à-vis d’un parasite, avant de souffrir devant l’abandon de celui qui accepte sans hésitation un mariage arrangé qui va lui assurer de prometteuses études en Angleterre.
Peu ont senti l’humour finement corrosif avec lequel Tagore pointe les «poèmes» ampoulés, un peu niais («d’auteurs débutants.. publiés à force de relations... dans des revues confidentielles) dont Charu et Amal s’auto exaltent.
Quelques uns pensent que, comme pour la nouvelle de Tourguenieff, ce bref
roman est marginal dans l’œuvre considérable de R.Tagore,
mais d’autres au contraire en ont apprécié la teneur.
Roman court, il répondait exagérément à la demande,
formulée par certains, de livres ‘plus courts’. («si
la longueur devient un critère de choix, nous allons mourir de soif... »
Il semble que, entre ceux d’entre nous qui, doués d’une
capacité de lecture affirmée, souhaitent des ouvrages ‘roboratifs’ et
ceux , d’une pratique plus classique, qui souhaitent commenter au Cercle
des œuvres à ‘taille plus humaine’, entre ceux que
les littératures lointaines fascinent et ceux pour qui le corpus des œuvres
européennes mérite d’être plus approfondi, quelque
chose de l’ordre d’une fêlure se fait jour. Nous pouvons
certainement trouver des aménagements acceptables par tous.
Comme la langue, selon Esope, une fêlure peut être la pire comme
la meilleure des choses : négligée, elle peut s’élargir
jusqu’à la séparation en deux parties ; bien exploitée,
comme en escalade pour y planter des pitons, elle permet de progresser vers
des sommets.... ?
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