La construction du livre est simple: trois parties chacune relative à un départ par un itinéraire différent avec la partie du milieu très courte, par le chemin anglais.
Construction cependant un peu déroutante – sans mauvais jeu de mot, même si certains ont senti la montée d’une spiritualité plus forte au troisième voyage. C’est à son troisième voyage qu’Alix de Saint André comprend qu’elle avait tout faux la première fois, rattrapée chaque soir à 17h par la réalité de son mobile… Elle dit d’ailleurs quelque part que « le livre a été long et difficile à emboiter, avec un vrai chemin de l’écriture », ce que nous avons ressenti à la lecture. Grande fumeuse devant l’éternel, elle est partie un peu par hasard la première fois sans projet précis, sans guide, sans envie sportive, aimant juste l’Espagne et parler l’espagnol, et elle découvre qu’elle a un corps, et des pieds en particulier - « on soigne énormément ses ampoules et les bobos des autres ». Ceux qui ont fait et font encore des GR (sentiers de grande randonnée) n’ont pas été surpris de cette découverte. Partant à la recherche de son âme, elle se rend compte dès le premier jour de marche que c’est son corps qui prend le dessus.
Beaucoup de lecteurs étaient en attente d’une transmission d’expérience
plus profonde, plus spirituelle que juste l’extérieur de ses rencontres
au jour le jour avec d’autres marcheurs, qui donnent lieu à des
galeries de portraits toujours drôles et incisifs (agaçants pour
l’une d’entre nous cf Raquel et ses « copinasses »),
ses cheminements en compagnie de galants d’un jour ou d’une semaine;
certains sont d’ailleurs restés sur leur faim et auraient bien
voulu en savoir plus sur qui avait ses préférences ! C’est
un livre sur elle bien plus que sur le Chemin de Saint Jacques. Son coté « je
ne sais pas très bien où je suis » est apparu touchant.
Ceux qui connaissaient Burgos, Leon, Compostelle, qui avaient cotoyé le
Chemin pas forcément à pied, s’attendaient à quelque
chose de plus fort, espéraient apprendre quelque chose de la légende
de Saint Jacques, des raisons pour lesquelles on se décide à partir,
mais chacun a des raisons différentes. Elle, elle a cherché à prendre
ses distances par rapport à une éducation catholique pratiquante
et son enfance régie par des codes aristocratiques rigides - son père était écuyer
en chef du Cadre Noir de Saumur. Ses efforts pour ne pas reproduire ce que
représente sa mère sont sympathiques, sa réconciliation
finale avec Papa donne raison à Freud…
Par comparaison, l’une d’entre nous qui venait de lire « L’immortelle
randonnée » de Jean Christophe Ruffin - ouvrage qui rencontre
un gros succès de librairie en ce moment l’a trouvé beaucoup
plus convenu et impersonnel, dissertation sur les typologies de jacquets écrite
sous l’amicale pression d’éditeurs savoyards.
Bref, beaucoup ont dit que pour eux la spiritualité n’était
pas au rendez-vous, ou bien si elle est présente, l’auteur la
raille en la traitant au second degré, et cette ambigüité crée
un malaise. Ce n’est pas une maladie honteuse que d’avoir une pratique
religieuse, mais il est vrai que cela rendrait son récit nettement moins
piquant. La démarche spirituelle se réduit en réalité à une
démarche religieuse avec dévotion obligée à des
saints institués, dans un contexte de commerce.
C’est probablement cette dimension peu perceptible voire manquante du
spirituel qui a créé un malentendu entre la plupart de nous,
lecteurs, et ce que l’auteure a voulu faire passer.
Le mot de la fin est donné à Alix de Saint André : « On
vit une spiritualité différente, incarnée, qui réside
dans le “travail” du pèlerin (même pour ceux qui sont
athées) : un “travail” lié à l’admiration
pour le paysage (la création, et donc Dieu le Père), la douleur
quotidienne (comme le Fils qui souffre) et la fraternité (qui lie comme
l’Esprit). Même si chacun peut l’interpréter à sa
façon, le chemin fait fonctionner la Trinité. »
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