Inspiré par le modèle-culte des années 60 « Le petit Nicolas » de Sempé et Goscinny, Emmanuel Carrère a écrit "La classe de neige".
Nicolas, surprotégé, quitte sa famille pour la 1ère fois. Petit, faible, peu habitué à se défendre il craint les sarcasmes de ses camarades. Par la voix de cet enfant, l'auteur nous conte les affres de la découverte de la classe de neige. A partir d'un incident mineur - le père de Nicolas, VRP de matériels médicaux, a tenu à amener son fils en voiture et a oublié les affaires de l'enfant dans le coffre- l'enfant devient désemparé et un malaise s'installe qui va grandissant tout au long des pages. C'est ainsi que débute le roman où l'on sent un lourd secret juste esquissé, Nicolas en prend peu à peu conscience alors que ni l'animateur "chevalier blanc", ni la maîtresse ne peuvent déjà plus rien pour lui.
On y parle aussi de matériel chirurgical, de pipi au lit, de prélèvements d'organes et d'une cascade d'inventions de la part d'un enfant craintif qui veut briller aux yeux du caïd de la classe. Tout le mérite de l'auteur tient à sa capacité d'avoir su nous décrire la souffrance psychique de cet enfant.
En opposition totale avec ce roman psycholoqique, "Le général de l'armée morte" 1er roman d'Ismaël Kadaré, est un livre inclassable au thème loufoque dont le héros est le peuple albanais, ce peuple né pour guerroyer. « Heureusement qu'ils ne sont que 2 millions » dit l'auteur. Il y a du Kusturica dans ce roman lyrique où s'opposent deux mondes : celui des années 60 bien réel avec ce général italien convaincu de participer à une grande cause : celui de ramener en Italie les cadavres des soldats de la guerre 39 aidé par un prêtre caricatural plein de certitudes et ce peuple albanais, issu de terres obscures et sauvages, ce peuple sans âge, énigmatique fait de cendres et de sang, érigeant ses traditions en véritable culte et pour qui le temps irréel semble plus vrai que le temps réel. Au cours de ce voyage, le général va perdre son arrogance, lui qui croyait au code de l'honneur au-dessus des nations.
Kadaré à la fois cynique et lucide envers son peuple est-il pour ou contre le régime albanais ?. Alternance de monotonie du ton souligné par les descriptions de paysages boueux et pluvieux, les mornes journées austères contrastant avec des épisodes qui donnent le mouvement et rompent le rythme, telles les scènes du vieux fermier qui a recueilli le déserteur et la scène du mariage où se sont imposés le général et le prêtre.
Il faut dépasser le cap de ses journées sans fin, toujours sombres et nuageuses pour pénétrer cet univers. Ismaël Kadaré commence avec la pluie et la neige et finit avec le vent, en deux ans d'errance d'exhumations, le général ne connaîtra jamais le printemps en Albanie et nous lecteurs en sommes également privés.
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