Bref, une épopée en même temps qu’un grand reportage, dans un style précis, lyrique, et poétique tout à la fois, que Kessel considérait comme son testament.
Autres ouvrages lus pour cette réunion par certains qui trouvaient
Les cavaliers trop long :
- « La passante du sans souci » (1936) déchirant et émouvant
pour certains, un peu mélo pour l’une d’entre nous : Elsa
chante dans les cabarets et devient entraîneuse en vue de trouver l’argent
pour sortir son mari des geôles nazi. Une fois libéré,
celui-ci retrouve sa femme dans un tel état de déchéance
qu’il ne peut que l’abandonner. Max, jeune juif torturé et
resté infirme vit à Paris au même rythme qu’Elsa.
Ce n’est plus de la narration, on voit les personnages en vie et on comprend
que les livres de Kessel aient si souvent été portés au
cinéma – sublime Romy Schneider dans le rôle d’Elsa.
Ce livre a surpris un des lecteurs qui ne retrouvait plus le grand reporter
qu’est Kessel pour lui.
- « Les nuits de Sibérie » (1928), réédité chez
Artaud en 2013. Se situe à l’hiver 1919 dans le port de Vladivostok
où se côtoient toutes sortes de personnages hallucinants dans
l’antichambre de l’enfer. Le personnage central, largement autobiographique,
fait partie d’une escadrille.
- « Au grand Socco » (1952), le plus beau de tous pour Sophie.
Conte oriental à la manière des Mille et une nuits, le titre
désigne la place du marché au pied de la vieille ville de Tanger.
Série d’histoires qui n’ont rien à voir les unes
avec les autres, qui se passent dans tous les milieux, chez un aristocrate,
au marché, etc… Grande puissance d’évocation.
- « L’armée des ombres » (1943), dont Jean Pierre
Melville a tiré un grand film : un dirigeant de la résistance
s’échappe lors de son transfert vers la Gestapo parisienne, alors
que les arrestations se succèdent suite à la présence
d’un traître dans le réseau.
- « Les mains du miracle » (1960), passionnant, se lit d’une
traite. C’est l’histoire vraie de Félix Kersten, un médecin
d’origine estonnienne et finnoise vivant aux Pays -Bas spécialisé dans
les massages thérapeutiques qu’il décrit comme un don héréditaire
renforcé par une formation spirituelle auprès d’un sage
thibétain. Personnage attachant et bon vivant débonnaire, il
soigne les grands de ce monde, famille royale des Pays bas et gros industriels
allemands. Il accepte de devenir par déontologie médicale le
médecin attitré de Himmler, chef de la Gestapo et numéro
deux dans la hiérarchie nazi, affligé d’intolérables
douleurs qui fait petit à petit de Kersten son confident. Malgré un
mécanisme un peu répétitif (Himmler est au plus mal, il
appelle Kersten à son chevet, celui-ci le soulage instantanément,
puis s’enhardit à obtenir de Himmler des faveurs de plus en plus
dangereuses, aboutissant à la libération de centaines, voire
de milliers de prisonniers), Kessel excelle à nous expliquer comment
pense l’ennemi, quelle est la logique de cet univers clos d’hommes
qui vivent dans des catégories mentales à part, avec l’idée
omniprésente de la germanisation; il tente de comprendre le poids de
cette histoire mythique. Pour Himmler, l’Alsace et la Lorraine, mais
aussi les Pays Bas et la Norvège sont allemands de tout temps. Il ne
comprend donc pas comment les Norvégiens peuvent combattre le Reich.
Kessel a interviewé Kersten qui a mis à sa disposition toutes
ses archives de guerre, y compris son journal, et il en restitue un récit
factuel, journalistique, documenté.
Joseph Kessel (1898-1979), né en Argentine de parents russes est un
aventurier, journaliste, grand reporter et romancier, décoré de
nombreuses fois pour ses faits de guerre, récompensé pour ses
romans à de multiples reprises. La recension de ces quelques livres
suffit amplement à nous prouver qu’autant de livres, autant de
Kessel. Kessel est l’un des créateurs de cette école de
grands reporters de guerre, correspondant de guerre, aviateur lors du premier
conflit mondial, qui a sillonné le monde entier et en a tiré la
matière de ses livres aux multiples inspirations et styles.
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