Italien de naissance, portugais de cœur, fasciné par le poète Pessoa, Antonio Tabucchi dans « Il se fait tard, de plus en plus tard »s'ouvre à un genre littéraire auquel il ne nous avait pas habitué jusqu'alors.
Son dernier roman, mais peut-on parler de roman, se présente comme une suite de lettres non signées, non datées, écrites à des absentes, disparues, mortes, éloignées on ne sait. Tout comme la couverture de son livre qui présente un couple qui s'enlace mais dont on ne voit ni visage, ces lettres sont sans nom comme des plaintes, des regrets, des rancoeurs, exprimés par ceux qui les envoient. Certaines lettres commencent par : «Chère», «Chérie», «Chère amie», «Ma douce Ophélie», «Mon amour», «O ma noble dame»... et laissent supposer qu'il s'agit bien d'un homme qui a bien connu ces destinataires: relation amoureuse passionnée. Dix-sept missives qui remontent le temps, ravivent le souvenir à partir d'un lieu sans cesse mouvant. Certaines lettres sont écrites depuis les îles grecques, d'autres à Porto, à Paris, à Naples ou à Alexandrie.
Dire qu'on a aimé ou détesté le livre c'est difficile, aussi difficile que de renter dans cet imbroglio de mystères. Quel est le but d'écrire à des personnages dont on sait ou on pressent qu'on n'aura aucune réponse ? Est-ce pour mieux accentuer ce vide intérieur, pour raviver des souvenirs rêvés ou réels ?
Le livre nous a désorienté sans que l'on sache dire pourquoi, rarement livre nous aura laissé aussi perplexe. Alors nous nous sommes attachés à apprécier ou détester certaines de ces lettres : parmi les plus appréciées, citons « Bon comme tu es », « Je suis passé te voir mais tu n'étais pas là », « Bonnes nouvelles de chez nous », « La circulation du sang ».
Ces personnages, hommes qui écrivent, femmes à qui on écrit, ont la consistance à la fois dense et molle des rêves et c'est certainement ce qui a dérouté pas mal d'entre nous. Ils sont à la fois totalement présents par les détails très précis dans l'écriture et si mystérieux car sans autre lien ou histoire que l'objet de la missive. « Ce sont des lettres soustraites au temps et au calendrier, ni datées ni signées puisque les femmes à qui elles sont destinées savent bien qui leur écrit. Ce sont des lettres indéterminées, qui auraient pu être écrites dans le siècle passé » a précisé l'auteur dans une interview.
Tabucchi semble s'être laissé aller à un penchant naturel de truffer son ouvrage de références littéraires ou mythologiques, si bien que le lecteur n'a pu s'abandonner à une lecture simple qu'aurait pu laisser supposer ces lettres écrites comme autant de nouvelles sur le thème de l'amour perdu et de l'absence. Tabucchi force le lecteur à faire un effort et c'est peut-être cet abus de références parfois jugées pédantes et inutiles qui nous a rebuté.
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