Interview par les membres du CERCLE, et CR des échanges avec l’auteur de « Mourir à Grenade » Rémi Huppert, que l’on pourrait surnommer « le marcheur mélomane »
Résumé du livre : Mourir à Grenade raconte l’histoire d’Enrique, fils de Maria, contrainte à l’exil en 36 Maria vit toujours à Provins. Enrique après 40 ans d’absence rejoint son pays natal et revient à Grenade, il sait qu’il va mourir bientôt. Il a vécu à Viznar sous le régime franquiste. Enrique a été le précepteur de Juan, fils d’un aristocrate. En arrière plan, on sent l’âme de Lorca, poète maudit et mort sous le régime franquiste.
CERCLE: Quelle a été l’origine de ce livre et Lorca vous
a t-il inspiré ?
R.H. : Longue genèse du livre ;je suis allé à Grenade
en 93, et visité Viznar, village d’origine de Lorca à une époque
où les gens étaient encore très méfiants par rapport à la
période franquiste J’ai passé du temps dans cette ville
que je ne connaissais pas pour m’en inspirer, j’ai fait aussi un
travail de recherche et interviewé des exilés de la guerre. Je
voulais écrire un livre sur la guerre d’Espagne et sur ces anciens
réfugiés, sujet méconnu et qui m’intéressait.
Jankelevitch disait qu’on ne s’intéressait pas assez à l’Europe
du Sud, Lorca est venu après.
Mes livres sont en effet souvent basés sur la même logique, je
parle de l’exil et d’un homme qui s’y rattache :, les écrivains
m’inspirent Voyage à Leningrad évoque Yourcenar , L’ombre
de Laure évoque le charme de Proust
Mourir à Grenade évoque Lorca
CERCLE : Pourquoi ce thème de l’exil rémanent dans tous vos ouvrages ?
R.H : Le thème de l’exil m’intéresse, je me pose
la question de l’identité, la garde t-on après son départ,
pourquoi part-on ?
J’ai une histoire personnelle qui me rappelle l’exil mais ce n’est
pas pour cela, de toutes façons, ce n’est pas très original,
nous avons tous plus ou moins un lien avec l’exil
Personnellement, je me trouvais à Ventiane (Laos) quand les chars sont
rentrés, mais je ne pense pas non plus que ces faits sont à l’origine
de mon intérêt pour l’exil. Ce thème m’intéresse
car je pense que le destin des exilés est une grande tragédie
CERCLE : Pourquoi Grenade ?
R.H : De Falla était de Grenade, l’origine du livre est très musicale J ’ai visité la maison de Lorca, de De Falla, j’en ai gardé des images romanesques
CERCLE : : On sent la poésie de Lorca, sur un rythme à 3 temps,
(rythme de valse), les moments en France sont plus linéaires, le rythme
est différent selon qu’on se trouve en France ou en Espagne comme
si vous vous en étiez imprégnés
R.H. : : C’est une imprégnation inconsciente plutôt qu’une
imprégnation laborieuse Enrique (le héros du livre avait une
vie malheureuse en France)
L’histoire de ce livre est bien le retour à Grenade, un travail
de mémoire
Il est à la fin de sa vie
CERCLE : Vous êtes aussi mélomane, avez vous dit. Faites-vous
des liens entre la musique et l’écriture ?
R.H. : Cela renforce mon goût pour la musique, ,ici pour De Falla, Albeniz
; j’essaie d’installer une sorte de musique des mots, la sonorité d’un
mot est importante, j’essaie de la traduire, un livre doit pouvoir être
lu à haute voix, il faut que ce soit mélodieux
CERCLE : On a le sentiment que vous aimeriez que l’on fasse acte de
repentance
R.H. : : Mon héros est républicain mais ce n’est pas le
message principal, je n’ai ménagé aucun camp, je suis bouleversé par
le meurtre de Lorca qui n’avait que 36 ans, c’est un crime contre
l’humanité, il aurait pu être Shakespeare. Sa disparition
dépasse les frontières
Lorca a mené un combat militant, on ne connaît pas toujours ce
combat.
CERCLE : En fait dans ce livre, il y a 2 histoires en une
-cheminement de Lorca
-cheminement du héros
De même 2 moments de l’exil, celui de la mère et celui des
enfants
Enrique a un retour réussi pour la 2ème fois, il revient à Grenade,
il se retrouve, on sent cette recherche, cet apaisement.
R.H. : : Je pars du principe que la vie est un périple en hélice,
on finit par retourner au point de départ
Enrique prenait plaisir malgré les appréhensions (vertige, ..)
j’ai essayé de montrer au départ son malaise puis un retour
heureux.
CERCLE :Je l’ai lu deux fois , pas de la même façon, la
1ère fois, j’ai surtout vu l’exil, la guerre d’Espagne,
la 2ème fois, les aspects relationnels m’ont frappé : Chica,
Juan et Enrique
Pour moi Mourir à Grenade est une sorte de vie à l’envers,
quand il redescend pour mourir, il redécouvre sa vie
R.H. : On lui a volé son enfance, quand il revient en Espagne, il s’autorise à revivre
une enfance par l’intermédiaire des adolescents
La 2ème fois permet de faire bien ce que l’on n’a pas bien
fait la 1ère fois
CERCLE : On peut se poser la question : « Est-ce un livre triste ? » ,
La mort de Chica après l’ascension ce n’est pas triste
Chica, est étrange comme personnage, c’est le seul dont je ne
peux expliquer son apparition, ni les raisons pour lesquelles j’ai créé ce
personnage
CERCLE : Pas si facile à lire, c’est un grand monologue intérieur,
pas évident d’y rentrer
Dans Mourir à Grenade il y a une dimension esthétique, c’est évident
que revenir à Grenade est plus agréable que revenir dans un coin
anonyme sans beauté Mais pourquoi 2 fois ?
R.H. :Idée du périple, on revient au point de départ,
la deuxième fois, on a un souvenir de la 1ère fois, c’est
un accomplissement
Certains de mes personnages m’ont été inspirés par
la réalité, j’ai organisé des interviews de personnages
réels qui avaient connu cette époque, ex : le maçon a
fait un réel parcours maçonnique et sa loge a beaucoup aidé d’autres
réfugiés, il s’agissait d’un ancien ouvrier qui avait
une attitude de déni par rapport au retour.
Il a lu le poème de Lorca et trois minutes après il éclatait
en sanglots
CERCLE : J’ai noté les relations avec Juan, c’était
souvent à l’occasion de marches
R.H. :en effet, c’est une démarche péripatéticienne,
on apprend en marchant, c’est aussi un des passages le plus autobiographique,
je m’interroge à la façon de se comporter, la part d’éducation
que l’on peut apporter à ses enfants
CERCLE :Autre remarque sur la façon d’écrire Les héros
marchent beaucoup dans la ville , vous semblez tenir à décrire
l’espace
R.H. : J’aime aller dans les endroits que je décris, en ce moment
j’écris un livre sur le Viet Nam, j’ai besoin de sentir,
de flâner, la marche est très inspiratrice Par ces marches, de
nouvelles idées surgissent, je ne peux faire aucun écrit sans
avoir marché, c’est une façon d’être
CERCLE : Les personnages sont attachants mais sous jacent il y a aussi la
rumeur, les ennemis sont là, tout autour
R.H. : : Ce thème (le regard social) m’intéresse, celui
qui salit tout « Moins ils en savent, mieux ils l’expliquent »
CERCLE : Beaucoup aimé la fin, j’ai été interpellée
par le fait de retrouver l’enfance avec les jeunes Il « tue » son
père une sorte d’icône Ce cheminement intérieur est
devenu une sérénité, renversement complet du personnage
qui devient croyant à la fin
R.H. :Ca vous paraît crédible ? le retour le transforme, c’est
un cheminement possible à l’approche de la mort
CERCLE : Votre livre dégage une sorte de lenteur, on a l’impression
d ‘une ville endormie ?
R.H. : j’ai visité la ville au printemps, Grenade est une ville
nonchalante, tranquille Le retour d’Enrique est progressif, il prend
le temps, c’est voulu Si ça c’était passé à Barcelone, ça
n’aurait pas été la même chose
Rémi Huppert a tenu à remercier les participants. « Ecrire
est un moment difficile, de solitude, on n’a pas souvent l’occasion
de dialoguer avec ses lecteurs, j’ai été frappé par
les questions, ce que vous avez perçu, reçu qui correspond à ce
que je voulais faire, c’est vraiment un plaisir d’échanger
, vous m’avez donné la force de continuer »
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