Compte rendu commun entre les lecteurs québécois et les lecteurs du CERCLE
Il était une fois un petit Poucet. Il courait à perdre le souffle entre les pupitres de sa classe pour échapper à un méchant Ogre qui voulait le dévorer. Il avait beau lancer des appels au secours, personne ne venait à son aide. Mais une bonne fée passant par là lui souffla ce conseil : «Change de nom.» Ce qu’il fit. Et sitôt qu’il se fut métamorphosé de Pennachionni en Pennac, l’Ogre disparut. Le Poucet en fut si content qu’il décida de demeurer dans sa classe, même après avoir passé ses examens. Il voulait raconter aux nouveaux élèves comment l’onomastique, la grammaire et le dictionnaire l’avaient délivré de l’Ogre.
Avec « Chagrin d’école » Daniel Pennac aborde le sujet universel de l’enseignement en évoquant ses propres souvenirs. L’auteur y décrit dans une première partie la souffrance d’être catalogué cancre, lui-même ayant eu cette « étiquette » dans son enfance jusqu’à l’adolescence. Suivent ensuite des propos sur l’art d’enseigner et des anecdotes vécues puisque l’auteur a réussi à devenir professeur de lettres. Et pas n’importe quel professeur puisqu’il a puisé dans sa propre expérience les moyens, tactiques pour venir à bout des cas les plus rebelles. Il a su émouvoir ces lecteurs de choix par ses souvenirs d’une enfance malheureuse à l’école, de ses professeurs qui lui ont ouvert la grande porte du savoir, de ses premiers amours et de son expérience auprès de jeunes en difficulté d’apprentissage. Il distille par le biais de scènes vécues, des pistes de réflexion . « Le chagrin d’être cancre relève du chagrin d’amour . Le cancre a le sentiment d’être profondément inutile, donc indigne d’amour » a dit l’auteur. Et il sait de quoi il parle puisqu’il dissèque son propre cas et glisse au passage que son premier amour l’a aidé à avoir une meilleure estime de lui-même. Chagrin d’école relève de la conversation intérieure. Ce jeu de miroir entre l’élève qu’il fut et le professeur qu’il est devenu explique-t-il ce succès en librairie ? Il aurait pu en faire un nième essai sur l’échec scolaire et ses recettes. Ici, il évoque avec beaucoup d’humour et de drôlerie ses souvenirs dont la chute dans la poubelle qui aurait pu le traumatiser à jamais mais aussi ses souvenirs d’enseignant avec des dialogues savoureux. Car Pennac n’oublie pas qu’il est avant tout un romancier, un merveilleux conteur d ‘histoires et si ce n’est pas non plus un roman, ce n’est pas non plus un livre autobiographique, il romance sa propre histoire, l’enjolive pour nous toucher. Mais c’est là que le bât blesse pour certains d’entre nous. N’en fait- il pas trop, le côté narcissique de l’auteur ne nous a pas échappé, la critique la plus féroce d’un de nos membres « allant à comparer son livre à un discours d’énarque si agréable à entendre, qu’à la fin on en oublie le sujet et le fil conducteur ». On serait incité à demander à l’auteur, tout comme le fait le cancre Pennacchioni, d’avoir un peu plus d’humilité, de modestie.
Selon qu’on s’intéresse au côté romancé ou à la morale de l’histoire, les regards divergent : certains auraient voulu une analyse plus poussée des tactiques de l’enseignant, d’autres se sont laissé bercer par les mots, d’autres encore y ont vu un hymne à l’école, un éloge de l’art pédagogique, et un merveilleux espoir pour nos enfants et une belle leçon d’optimisme et une bouffée d’air pur pleine de lucidité bienveillante. Ce livre est tombé à point pour clore les idées toutes faites sur le déclin de l’école. Non, le cancre n’est pas définitivement cancre s’il la chance de croiser des professeurs bienveillants qui s’intéressent au cas des élèves réputés allergiques à toute forme d’apprentissage. Par quel miracle peut-on quitter le statut de cancre ? la luminosité d’un professeur. Certes, nous avons tous croisé des professeurs lumineux qui ont cru en nous et nous ont aidé à grandir et aller au-devant de nos limites. Si l’amour suffisait à se débarrasser de la peau de cancre, cela se saurait, voilà une des principales remarques.
Est-ce pour réveiller la flamme des professeurs ? ou rassurer les parents ou encore pour redonner espoir aux élèves catalogués définitivement irrécupérables ; un peu tout cela , il s’adresse à tous les types de lecteurs. Ce récit autobiographique est très habilement conduit puisqu’il joue sur le paradoxe du cancre génie. Son écriture est émaillée de fort jolies images mais sa portée reste limitée à la pédagogie, dont les effets, au vu de la méthode préconisée, peuvent être très aléatoires. Le vu de l’intérieur est astucieux, un peu une première, ce livre recèle un ensemble d’idées qui font parfois fouillis. Si nous avons tous convenu que l’auteur était loin de présenter les atouts classiques du cancre irrécupérable (milieu aisé, famille aimante et bienveillante, niveau culturel élevé) certains d’entre nous ont dépassé ce constat en se focalisant sur les enseignements à tirer de l’ouvrage. Pour eux, Pennac dit vrai, pense juste, fait mouche et nous donne à réfléchir en pensant à contre courant de la pensée dominante obsédée par l’échec scolaire, la baisse des niveaux scolaires. Tout au long du livre, Daniel Pennac se décrit comme un enseignant idéaliste hanté par le mauvais élève qu’il fut.
Mais a t-on fait remarquer, l’auteur parle d’un temps que ceux de 20 ans sont loin d’avoir connu et les recettes qu’il égrène ne marchent pas à tous les coups. Le mot cancre n’est plus guère utilisé de nos jours, on parle pudiquement de difficultés scolaires alors que les professeurs n’hésitent à qualifier de nul les résultats obtenus par les élèves en manque de concentration et de motivations. Fait étonnant cependant pour un professeur des années 2000 : l’auteur n’a pas abordé le thème de la médication qui soulage les difficultés de concentration dues à des carences neurologiques pour une multitude d’enfants qui sont loin d’être des cancres.
Mais comme le dit l’auteur, aujourd’hui le dilemme n’est pas d’intéresser les enfants, mais de les détacher de leur statut de consommateurs « Les profs nous prennent la tête.. » « Non, tu te trompes, ils veulent te la rendre, ta tête est déjà prise … Ce sont les marques qui vous prennent la tête , elles vous prennent votre argent … » En conclusion, grand plaisir de lecture pour ceux qui ont exercé et fait du soutien scolaire ou ont côtoyé des cancres invétérés, des abonnés à la mouche qui vole.
Et pour terminer ce compte rendu, lisons ce merveilleux poème de Jacques Prévert à la gloire du cancre.
Le cancre
Il dit non avec la tête
Mais il dit oui avec le coeur
Il dit oui à ce qu'il aime
Il dit non au professeur
Il est debout
On le questionne
Et tous les problèmes sont posés
Soudain le fou rire le prend
Et il efface tout
Les chiffres et les mots
Les dates et les noms
Les phrases et les pièges
Et malgré les menaces du maître
Sous les huées des enfants prodiges
Avec des craies de toutes les couleurs
Sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bonheur.
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