L’histoire a retenu l’intérêt de tous. Ce roman dont certaines parties sont probablement
autobiographiques s’étend sur près de 40 ans, relatant à la première personne la vie d’une femme de ses 16 ans jusqu’à plus de 50 ans. Il couvre aussi une partie de l’histoire de l’Iran depuis le règne du
Shah, son renversement et l’installation du régime des mollahs.
Si l’on a pu dire que c’est un vrai scénario avec tant d’événements que la psychologie des personnages est parfois simple, de nombreux thèmes ont été identifiés et discutés. La qualité
essentielle du livre est la façon dont il mêle la vie de Massoumeh, l’héroïne, avec l’histoire de l’Iran dans tous ses aspects, religieux, social, politique, ce qui donne chair à des questions que nous
envisageons, de loin, de façon assez théorique. La domination masculine est centrale : on la voit dans l’espace public mais aussi au sein de la famille.
Le père est bon mais ne peut assumer son relatif libéralisme du fait de la pression sociale, relayée au sein de la famille par les frères et même par la mère. Les mots clés sont Honneur et honte. La violence marque la parole mais aussi les actes Une peccadille publique suffit à briser les espoirs de la jeune fille. Un mariage, moins honorable que souhaité est rapidement conclu avec une famille qui a
aussi un problème de non conformité à l’ordre social, un fils militant et réticent à se marier. Les femmes ont un rôle important, on les voit notamment en tant qu’entremetteuses, mais, à
l’exception de Mme Parvin qui parvient à transgresser les règles, elles contribuent à maintenir le
pouvoir des hommes, père, mari, fils et à faire perdurer l’oppression. Massoumeh est d’ailleurs,
malgré son désir de poursuivre ses études, assez conforme au modèle féminin. Elle se dévoue à son
mari et à ses enfants. Ce dernier aspect a été souligné et trouvé excessif par certains (s’agit-il d’une
obsession de l’auteur ?). Leur éducation par une mère affectueuse ne fait pas sortir les enfants de la norme sociale et ne les empêche pas de la traiter de façon égoïste et tyrannique à la fin du roman.
Le personnage d’Hamid, le mari, militant communiste a particulièrement intéressé. Par les yeux de sa femme, sont évoqués sa vie de militant, le groupe des camarades, la vie clandestine, les actions, la menace de la Savak, la prison etc. On a souligné la contradiction entre l’attitude libérale du militant à
l’égard de sa femme, sa condescendance à son égard et surtout l’abandon dans lequel il la laisse. De
même le face à face de l’amie militante et de l’épouse, chacune admirant l’autre. Le poids de la religion est énorme, non seulement parce que la famille est provinciale et traditionnelle mais parce qu’elle devient la base de la puissance politique après la prise du pouvoir par l’Ayatollah Khomeini. Ses zélateurs, surtout les frères de Massoumeh, sont présentés comme des hommes égoïstes, hypocrites, malhonnêtes et cupides.
La façon de rendre compte des troubles liés à la chute du Shah puis à l’arrivée de Khomeini à travers
l’intimité d’une famille, des contradictions de la vie politique dans une période révolutionnaire par
les variations de comportement des employés de son bureau à l’égard de Massoumeh a été
soulignée et appréciée.
Le personnage de Massoumeh a suscité la sympathie de tous. Son énergie - une mère courage- a été
soulignée mais aussi le fait qu’elle est restée une femme aliénée qui se laisse dominer et blesser par
ceux qu’elle aime le plus, une femme qui ne saisit pas les deux occasions qu’elle a de se remarier
avec des hommes que l’on suppose plus attentifs que d’autres à ses besoins. Son renoncement final a choqué certains mais a paru logique à d’autres. La question du militantisme et de ses effets sur un couple ou seul l’un milite a aussi été évoquée.
La discussion a été longue et passionnante. J’espère en avoir à peu près rendu compte.
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