Nous étions onze pour échanger sur ce premier roman de Negar Djavadi, scénariste qui a connu l’exil à l’âge de 11ans. Née, comme son héroïne, de parents intellectuels opposants au régime du Shah puis, après la révolution de 1979, à celui de Khomeiny, elle a fui vers la Turquie avec sa mère et ses sœurs pour rejoindre son père exilé à Paris. Ce roman emprunte certains éléments de histoire familiale de l’auteure sans être pour autant une autobiographie.
L’héroïne du roman (Kimia) née en Iran et exilée en France à l’âge de 11 ans, suit un protocole de procréation médicalement assistée (PMA). Les heures d’attente dans un hôpital parisien sont pour elle l’occasion de se souvenir de son enfance en Iran. Cela l’amène à aborder un large éventail de sujets : l’histoire de sa famille sur quatre générations, l’évolution de la société de ce pays, les troubles qui l’ont traversé notamment dans les années 1970-1980, l’engagement politique, l’exil, l’intégration, l’identité sexuelle et enfin la transmission.
- La majorité d’entre nous a beaucoup apprécié ce roman pour son originalité (avec en arrière plan l’évocation d’une quête d’identité et de la PMA), pour son parti pris de narration non linéaire qui prend la forme d’un conte oriental foisonnant en personnages et sous- tendu par un défi : « parler ou mourir ».
Les personnages très attachants (Emma, Nour, Bibi la servante) ou fantasques (l’oncle n°2) donnent beaucoup de vie au roman. Le couple Darius et Sara est formé de deux personnages forts et très unis dans leur engagement politique au prix d’un exil qui les plonge dans un grand désarroi.
Il se dégage du livre une exubérance, une chaleur orientale dans les liens qui unissent la famille iranienne, les amis, les voisins, sur un fond d’absence de liberté au sein de cette société où la communauté prime sur l’individu.
C’est aussi une histoire singulière d’exil dans laquelle Darius met tous ses espoirs dans la révolution démocratique. Espérance suivie d’une terrible désillusion avec l’arrivée de Khomeiny. A cela s’ajoute le triste sort qui est réservé aux opposants à un régime politique (Darius et à sa famille) par leur pays d’accueil (beaucoup d’indifférence) et par leur pays d’origine (le rejet).
Ce roman livre une réflexion sur l’intégration qui passe par la « désintégration ». Cette citation du livre est très parlante :
« D’ailleurs puisque nous en parlons, je trouve qu’elle manque de franchise et de sincérité. Car pour s’intégrer à une culture, il faut, je vous le certifie, se désintégrer d’abord, du moins partiellement, de la sienne. Se désunir, se désagréger, se dissocier. Tous ceux qui appellent les immigrés à faire des « efforts d’intégration » n’osent pas les regarder en face pour leur demander de commencer par faire ces nécessaires « efforts de désintégration ». Ils exigent d’eux d’arriver en haut de la montagne sans passer par l’ascension. »
Des moments très émouvants ont été évoqués, notamment, l’exil avec la traversée par Kimia, sa mère et ses sœurs des montagnes du Kurdistan. A été également évoquée la découverte par l’héroïne de la prise de conscience par sa mère de son homosexualité alors qu’elle était encore jeune. Cette mère a toujours cherché à la protéger, à son insu, d’une société machiste dans laquelle les pires châtiments étaient réservés aux homosexuels.
Ce roman a été jugé très documenté sur la vie politique en Iran, notamment grâce aux notes en bas de page.
Enfin, d’une manière générale, l’écriture très coulante émaillée d’humour a été vraiment appréciée.
- Certains d’entre nous ont émis des réserves. Elles tiennent au caractère très touffu et peu construit du livre. Beaucoup d’allers retours entre les époques, les personnages, les lieux qui lui ont enlevé la lisibilité et l’attrait du récit. Cela tient à la profession de scénariste de l’auteure qui a donné une trop grande place à son métier d’origine.
Il a été regretté l’absence de consistance de certains personnages comme les sœurs de Kimia.
L’héroïne transgresse deux tabous pour la société iranienne : l’homosexualité et la PMA. Cependant le traitement de ces deux sujets très intimes a été jugé vraiment décevant. En particulier, l’histoire d’amour de Kimia et d’Anna et de leurs deux rencontres assez improbables n’a pas été trouvée crédible.
<<< Séance précédente : «L'Art de perdre»
Séance suivante >>> : «Une histoire birmane»