Pour la plupart des participants du cercle, il s’agissait d’une découverte aussi bien de l’auteur que du sujet du livre, trouvés tous les deux passionnants Ce livre « Peste et Choléra », dernier livre d’une trilogie dont les 2 autres éléments sont « Kampuchea » et « Equatoria » (on notera les fin de titre en « A ») a globalement plus à tous, et malgré cette unanimité a permis une discussion riche et féconde. C’est une trilogie dans la mesure ou Kampuchea raconte l’histoire du Cambodge, « Equatoria » la découverte du Congo par Savorgnan de Brazza et « Peste et Cholera » l’histoire de Yersin, élève prodige de Pasteur, génie méconnu en France, mais révéré au VietNam, où son action a été majeure dans la lutte contre la peste qui y sévissait, et la construction d’un empire industriel (caoutchouc entre autres), qui a apporté du travail aux Vietnamiens et enrichi le pays. Dans les 3 livres l’aventure coloniale est au centre du récit, dans sa partie noble (apport des nouvelles connaissances et aide au développement du pays) sans sa part sombre qui est actuellement également mise en avant. Deville semble passionné par cette époque et met en avant les aspects les plus positifs du 19eme siècle colonial à travers ses héros (Yersin ou Savorgnan de Brazza) Patrick Deville est une sorte de baroudeur, extrêmement cultivé, voire parfois un peu pédant, et autodidacte car une maladie dans son enfance l’ayant empêché d’aller à l’école, son instruction a été mené au sein de l’asile que dirigeait son père. Son style étourdissant est parfois d’une concision extrême, au point de construire des phrases sans verbe. Très imagé il frôle la poésie (pour parler de Pasteur : « l’homme à la redingote et au nom biblique ») et on y sent une très grande tendresse pour ses « héros », dont il n’est cependant pas dupe et se moque gentiment. A l’opposé il est parfois capable d’embrasser dans une seule phrase (très longue…) les multiples événements survenus au même moment sur la planète. Il met aussi en relation les recherches de Yersin, avec la quête d’Arthur Rimbaud en Ethiopie, ou la découverte du Congo par Savorgnan de Brazza. D’après lui ces héros sont les « diamants » de petites bandes dont ils s’échappent parfois : la bande des « Parteuriens » pour Yersin, la bande des « Parnassiens » pour Rimbaud. Autre particularité de ce style, qui a frappé tous les lecteurs, enthousiasmé certains, déstabilisé d’autres : l’utilisation de ce qui a été appelé « l’espace temps ». Des allers-retours entre l’époque du début de la guerre de 40, où Yersin approche les 80 ans, et sa jeunesse de jeune génie réfractaire, et qui veut toujours aller voir ailleurs. Malgré cette architecture complexe du récit, celui-ci reste facile à suivre car à chaque fois Patrick Deville, en quelques petites phrases concises et lumineuses (poétiques ou moqueuses) remet le lecteur dans le contexte. Cependant ce choix d’écriture est plus propice à l’évocation qu’au didactisme d’une biographie. D’ailleurs certains lecteurs ont du relire tout le roman pour en retrouver la chronologie. Est ce la raison pour laquelle le livre s’appelle « roman », alors que tous les faits nous ont semblé vrais et assis sur un travail d’étude très rigoureux. Quant au héros : l’histoire de Yersin est captivante, on y découvre plusieurs vies en une seule. Mais s’il a touché à plusieurs domaines (la médecine, les transports, la géographie, l’agriculture, l’entreprise), toujours avec des succès fulgurants, il ne s’est jamais appesanti sur aucun, car il a la bougeotte, et veut toujours aller plus loin (« il faut qu’il sache tout, Yersin, c’est plus fort que lui »). Né en Suisse, orphelin d’un père qu’il n’a jamais connu et dont il porte le prénom, il se découvre très jeune admirateur inconditionnel de David Livingstone (d’après Wikipédia : médecin écossais, explorateur et missionnaire protestant en Afrique. Il contribua à la fois au développement et à la promotion de l'empire commercial britannique d'une part, à la lutte contre la traite esclavagiste et à l'évangélisation du sud du continent africain d'autre part. Il participa au mouvement d'exploration et de cartographie de l'intérieur du continent africain. Il fut notamment le premier Européen à découvrir la vallée du Zambèze et consacra une partie de sa vie à rechercher les sources du Nil.). Yersin a vécu en France et au Viet Nam, et parcouru le monde. C’est un génie méconnu d’une créativité étonnante, aventurier, autant que chercheur. Deville nous montre les similitudes de caractères entre ces deux vocations, toutes deux mues par la même passion de la découverte et une très grande ouverture d’esprit, capable d’aller hors des sentiers battus. Yersin allie dans son histoire l’aventure médicale et l’aventure coloniale. Car c’est aussi un entrepreneur type 3eme république, doté d’une curiosité et d’un savoir universel pour les sciences et les techniques (jamais la politique, mais quand même la littérature, même s’il s’en défend), avec la volonté d’être le meilleur, de découvrir et de donner ensuite aux populations le fruit de ses découvertes. Doué d’une très grande intuition et d’une extraordinaire inventivité il a été le premier à reconnaître l’intérêt économique de l’hévéa, comme il a été le premier à découvrir le bacille de la peste. Ainsi Yersin est un esprit très indépendant, mais qui s’appuie toujours sur de petits groupes, butine auprès d’eux, puis va voir ailleurs Car le livre nous évoque aussi les grands noms de cette époque (fin 19eme- et début du 20eme siecle), que Yersin a croisé sur son chemin : Pasteur, Koch, Paul Doumer, Emile Roux, Calmette, Michelin, etc…, et les petites bandes (celle des Pasteuriens) qui ont fait avancer le monde. On y découvre en particulier que l’équipe de Pasteur a eu la volonté d’ouvrir des instituts Pasteur partout dans le monde, suivant l’empire colonial. C’était aussi une aventure. L’évocation de cet esprit universel (il a touché à la médecine, l’agriculture, les animaux, la mécanique) animé de valeurs de partage, malgré un caractère très difficile, nous émeut car est il encore possible de trouver des esprits au savoir encyclopédique dans notre époque hyper spécialisée ? En bref : la lecture a été un moment de découverte et de plaisir, et l’envie de lire les autres livres de Patrick Deville
<<< Séance précédente : «Le ruban rouge»
Séance suivante >>> : «En avant route»