S’il est des écrivains (rares) qui souhaitent s’effacer devant
leurs écrits au point de cacher leur identité, on ne peut en dire
autant de Lionel Duroy pour qui la littérature tourne autour de biographies,
que ce soit la sienne qu’il revisite régulièrement ou celles
d’autres personnes à qui il prête sa plume et son talent pour
les mettre en lumière.
Lionel Duroy avait accepté de venir nous rencontrer et ce fut une soirée
fort agréable d’échanges, l’auteur étant très à l’coute
de nos différentes sensibilités sur son roman perçu très
différemment par nous tous.
Contrairement à « Priez pour nous » qui racaontait un épisode
de la vie de l’auteur, avec « Le chagrin », le projet s’est
voulu plus ambitieux, écrit vingt ans plus tard , et a pour but de raconter
toute une vie : comment on décide de sa vie, qu’est ce qui fait
qu’on choisit une voie plutôt qu’une autre. L’objet de
son livre c’est dépasser son cas pour arriver à l’universel,
par exemple en remontant bien avant sa naissance, et expliquer tout leur roman
familial par la guerre de 14, qui avait créé des admirateurs de
Pétain, incapables de faire de la résistance (ce qu’il regrette
encore)
« J’ai voulu être le plus fidèle possible aux faits
tels qu’ils se sont réellement passés et quand je n’avais
ni souvenir , ni élément de mémoire car passés avant
ma naissance, j’ai analysé le plus finement possible les photos,
les expressions des visages, leur environnement ce qui m’a donné autant
d’éléments d’analyse. Je n’ai rien voulu inventer,
c’est mon livre le moins romancé possible, mais mon objectif a été de
reproduire le plus fidèlement possible la réalité. » c’est
ainsi que Lionel Duroy a introduit son ouvrage.
« Quand j’écris « cette conne » en parlant
de ma mère par exemple, ce qui aujourd’hui peut parâtre
injurieux après tout ce passé, je le fais en me remémorant
mes sentiments d’alors, qui ne sont plus ceux de maintenant.
«
Si j’analyse les raisons pour lesquelles nous étions si naufragés,
si isolés, seuls en perdition a-t-il poursuivi c’est que « nos
parents étaient des perdants , inintéressants, c’est pourquoi,
nous vivions dans un relatif isolement, si tout le monde nous a laissé tomber
c’est que nous étions peu dignes d’intérêt »
Rien n’est hasard. On n’arrête pas de réfléchir à son
enfance « .
A la question : comment expliquer les différences d’appréciation
entre le fait d’écrire « C’est comme cela que j’ai
commencé à mépriser ma mère » alors que d’autres
scènes montrent que vous l’aimiez malgré tout.
Réponse : plus compliqué que de l’amour, j’ai peur
d’elle mais je me sens en charge d’elle vers 12/13 ans, elle me
fait pitié. Le mépris vient plus tard avec les travaux de Vaucresson,
la façon dont elle nous humiliait. Au moment où je l’ai écrit,
j’ai éprouvé une haine rétrospective.
Se cacher sous l’armoire fut une scène fondatrice.
A 20 ans, je décide d’être un homme, tâche herculéenne,
je lui apprends à conduire.
Question : Pourquoi les enfants n’en veulent pas à leur père
qui parait immature et responsable de ce désastre. Réponse :
C’est le seul qui s’occupe de nous , notre mère a démissionné,
elle garde ses valeurs et va jusqu’au bout quitte à se rendre
folle.
Question : Qu’est ce que cela vous a apporté de le publier, vous
auriez pu seulement l’écrire, ce qui était déjà un
acte en soi ?
Réponse : renoncer c’est mourir, pour moi qui avait un sentiment
d’abandon, me voir dans la vitrine d’un libraire est comme si je
retrouvais mon identité, j’avais le sentiment de retrouver ma
place. Mais l’avoir écrit ne guérit pas, je souffre plus
qu’avant, on n’écrit pas pour aller mieux, c’est le
contraire car tout remonte
Question : Avez-vous eu l’idée d’une psychanalyse ?
Non, je préfère les dialogues, parler, oui mais il faut m’expliquer
ce que j’ai dit.
Question : J’ai envie de défendre votre mère, elle a eu
dix enfants, comment pouvez vous la traiter ainsi ? .
Réponse : Non, elle a toujours été constante dans son
comportement même quand elle n’avait pas les dix enfants, dragon,
infernale, elle était folle au-delà de l’imaginable, ,
aujourd’hui, on aurait placé les enfants. Mon père était
courageux. Chacun a fait sa vie, surtout les garçons qui se sont construits
sur l’image du père.
Prochain livre : La colère , on note l’évolution, du chagrin à la
colère, c’est une étape de deuil qui est franchie.
Question : Avec de l’argent auriez-vous pu être heureux ?En fait
votre mère aimait son mari, elle aurait pu partir, elle ne l’a
jamais quitté.
Réponse : Non , c’était mariage à vie, mais c’est
vrai que ma mère aimait son mari.
En conclusion, à l’unanimité, nous avons loué l’auteur
pour sa grande sincérité et sa capacité d’écoute
de nos remarques qu’elles aient été positives ou négatives.
Un grand moment d ‘échanges très apprécié de
nous tous
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