Le Christ s’est arrêté à Eboli (Cristo si è fermato a Eboli) de Carlo Levi, a été publié chez Einaudi à Turin en 1945.
Un peintre et écrivain turinois est assigné à résidence en 1935 dans l’extrême sud de l’Italie, en Lucanie, dans la province du Basilicate, dont la limite nord commence au sud d’Eboli, d’où le nom dans le titre Son premier séjour forcé se déroulera dans une ville moyenne de la région : Gargano qu’il ne dépeint pas, puis dans une ville très petite et reculée : Gagliano, dans la même région. Les neufs dixièmes du livre porteront sur cette petite ville, ses habitants et leurs mœurs, dan un pays abandonné par Dieu.
Le livre porte donc sur le séjour de l’auteur dans cette dernière résidence forcée et surveillée par le Podestat, le chef local des fascistes.
Par chance, avant de se dédier à la peinture et l’écriture, Carlo Levi avait fait des études de médecine et pendant son éloignement sa propre sœur exerce cette profession à Turin. C’est une chance car cela lui permet d’entrer en contact avec les habitants de Gagliano et de les décrire, ainsi que de percer une partie de leur subjectivité.
Car c’est un véritable travail d’ethnologue qui nous est livré dans ce livre, avec toute la progression provoquée par la distance culturelle entre un habitant des grandes villes industrielles du nord et un village rural de l’extrême sud italien. Avec les étapes de la découverte d’un peuple autre : incompréhension mais curiosité et, peu à peu, compréhension des croyances et des raisons de l’action des habitants ; enfin prise de position en faveur de ces habitants si éloignés de la civilisation mais tellement déterminés par leur vie qui ne semble pas avoir varié depuis l’Empire Romain. Qui gardent la trace de ce passé archaïque, dans la façon préchrétienne de concevoir les relations avec la nature, avec le Pouvoir et leurs concitoyens.
Un moment important de ce séjour est l’attribution faite à l’auteur d’une maison, mais comme les mœurs locales supposent qu’un homme ne puisse pas y vivre seul, le village lui impose de prendre comme gouvernante celle qui le fut pour l’ancien habitant, un prêtre. Cette gouvernante, Giulia, sera une excellente informatrice sur les normes de vie des habitants même si elle doit quitter cette fonction, à cause de son fiancé, revenu un temps de son travail en Amérique, qui juge inconvenant qu’elle serve un homme seul.
Un autre moment sera un court séjour de la sœur de l’auteur, car elle lui permet d’affiner son diagnostic sur la malaria qui est endémique dans la région, sur l’inutilité des médications proposées par les médecins locaux pour la combattre et les quelques règles d’hygiène permettant d’en éviter les plus grands inconvénients.
Au fur et à mesure qu’il arrive à comprendre les habitants de ce village, Carlo Levi montre le contraste entre eux, menant une vie humble et patiente, et l’élite locale, composée de médecins incapables et d’un système de pouvoir bêtement bureaucratique et incompétent : un magnifique exemple étant de décrocher une subvention pour construire une piscine qui ne servira jamais, au lieu d’obtenir la même somme pour lutter contre les moustiques propagateurs de la malaria.
Les avis sur ce livre ont été partagés : si une grande partie des lecteurs du cercle ont dit leur grand plaisir de lecture, certains n’ayant pas peur de le qualifier de chef d’œuvre, une minorité soit s’est ennuyée soit n’a pas pu le lire jusqu’au bout. Tous ont trouvé l’écriture, donc la traduction, excellente, sans fioritures, ne portant pas de jugements mais se contentant de constater et décrire ce que l’auteur constate. La majorité a dit sa joie de l’avoir découvert ou retrouvé après plusieurs dizaine d’années.
Un film a été tiré de ce récit en 1979, mis en scène par Francesco Rossi avec Gian María Volonte dans le rôle du peintre-écrivain et Irène Papas dans celui de Giulia.
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