Tout livre révèle un peu de son auteur mais jamais autant que l oeuvre de Henry Bauchau écrivain sur le tard, qui à l’instar de son compatriote Henri Michaux, autre écrivain incompris et en marge, aurait pu faire sienne la phrase « J’écris pour me parcourir »
On est bien loin « d’Autant en importe le vent » dans ce roman épique et complexe plus que roman historique où les récits de guerre jouent un rôle important. Le choix de la guerre de Sécession n’est pas neutre : occasion de camper un régiment composé d’anciens esclaves, conflit nord-sud, la lente descente vers le sud symbolise cette descente en soi , pour chasser son ennemi intérieur. Car dans ce roman au style ampoulé, souligné par la plupart d’entre nous, tout est retour au mythe et symbolique. Pierre, le héros est tour à tour narrateur, fils ou petit fils du narrateur.
Le roman commence par une longue description d’une lignée où il apparaît que Pierre, européen, nourri des récits de campagnes napoléoniennes du grand-père, se voit contrecarré dans son désir d’embrasser une carrière militaire. Il décide alors de se jeter dans un combat qui le dépasse et où il se surpasse : engagé du côté des Nordistes dans ce combat contre l’esclavagisme, il cultive son amour des canons et s’acharne à tout détruire et vaincre l’ennemi Mais cette lutte nord-sud n’est pas si binaire, rien n’est totalement juste ou démoniaque. Certes les Nordistes se battent pour l’idée d’abolir l’esclavage mais ils masquent mal leurs intentions d’asservir le peuple par leurs idées capitalistes tandis que les sudistes conservateurs, incarnés par les valeureux Jackson qui fascine Pierre et Robert L Lee se battent avant tout pour protéger leur terres agricoles.
Nos membres lecteurs masculins ont pour la plupart lu le texte avec enthousiasme une 1ère fois, emballés par la précision des descriptions des tactiques militaires à la manière d’une bande dessinée, puis la 2ème fois, ils voulurent découvrir les personnages et là déception pour la plupart d’entre eux quand ce ne fut pas un rejet de ce roman « jonché de jugements moraux ». Quant aux lectrices, le résultat fut mitigé : la complexité du héros a parfois séduit, touché, ému. mais aussi agacé Le passage sur les Indiens, vécu comme un retour à la terre originelle a été unanimement apprécié et jugé trop court. Roman aux accents autobiographiques, longue fut la route de Bauchau, peuplée de solitudes, de mal être, qui le conduisit d’expériences en expériences multiples, tout comme fut longue la route de Pierre. Pierre finira par triompher mais perdra son double incarné par Johnson, seul noir promu général à la tête du régiment qui fait la guerre sans être convaincu et finira par décrocher, choisissant d’être pris en main par Granpé le « passeur », l’ initiateur pour devenir instituteur.
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