Pas forcément le meilleur des Jules Verne ou le plus connu. Abordant l’œuvre de Jules Verne ainsi qu’ une visite à Amiens, la ville où il vécut la plus grand partie de sa vie, nous avons délaissé avec regret pour certains, les grands classiques :Michel Strogoff, Voyage au centre de la lune , L'île mystérieuse, Cinq semaines en ballon pour découvrir un ouvrage un peu en marge et publié seulement en 1995 : « Paris au XXème siècle ».
Cet ouvrage écrit par l’auteur à l’âge de 19
ans, (en 1863) a été à l’époque refusé par
son éditeur (voir copie de la lettre ci-après). Il décrit
un Paris qui se situerait en 1960.
Une lecture attentive au-delà de son style décrié par nous
tous (fautes de style, énumérations agaçantes, jeux de mots
de potache (« Le mur murant Paris rend Paris murmurant ») nous révèle
un Jules Verne sensible aux problèmes de société de son
temps, conscient du progrès technique et de ses conséquences négatives
selon lui d’où le pessimisme que lui reproche l’éditeur.
Le héros de « Paris au XXème siècle » est un
latiniste prénommé Michel, il a remporté un prix de poésie
latine, peu gratifiant car seule la technique est d’importance, la finance
régit le monde et les deux relèguent au 2ème plan : musique,
peinture et littérature. L’art tend à disparaître et
précise –t-on après Wagner rien ne se crée . Notre
héros survit malgré le mépris qui l’entoure et la
faim qui le taraude.
Beaucoup tendent à vouloir devenir fonctionnaire, l’état
est très décentralisé mais tout y est désormais chiffres,
commerce, rien ne vaut le métier de banquier ou d’industriel.
Dans ce livre le jeune écrivain fait preuve d’un esprit prémonitoire étonnant
autant sur le plan technique que sociétal : ville polluée, anticipation
sur la télégraphie photographique (télécopie), communication
ultra rapide (Internet), description de trains de métro propulsés à l'air
comprimé, des voitures à hydrogène, augmentation du trafic
motorisé, et prédiction de l'abandon du grec et du latin dans nos écoles,
de l'évolution de la musique qui est désormais hurlée, et
de la prédominance de l'anglais au détriment du français.
Certes la presse est libre mais c’est parce que les critiques l’ont
tuée. On ne peut qu’être surpris par la pertinence de certains
des propos quand on songe aux effets actuels de la prolifération des blogs,
Internet. Ce roman nous interroge quant à la justesse de ses prédictions.
Etait-il réellement un visionnaire ? Jules Verne est de son temps, en
phase avec les théories d’Auguste Comte .
Une chose est sûre ; il n’a pas fait d’études scientifiques,
et même il détestait les sciences tout en ayant une véritable
fascination sur les techniques dont il pressentait des applications souvent négatives.
Chaque fois qu’il envisageait une théorie, il en voyait une application
: les bathyscaphes à vocation forcément militaire.
Un autre thème relatif à ses relations avec les femmes nous a interpellé.
On sait qu’il voulut d’abord se marier avec sa cousine dont il était
amoureux et qu’il devint ensuite un tranquille bourgeois de province à Amiens.
Pour Jules Verne, dans le futur, il n'y aura plus que très peu de vraies
femmes. « Elles deviennent masculines » Notons la description savoureuse
de la femme du banquier Boutardin « Elle était la locomotive et
lui le chauffeur, autant dire qu’elle ne dérailla jamais, la femelle
d’ un administrateur »
En conclusion, ce livre mérite mieux qu’un simple mépris.
On peut même s’interroger sur les véritables motivations de
Jules Verne en tant qu’écrivain. Ne cherchait-il pas en se montrant
visionnaire à passer quelques messages sur les risques négatifs
d’une société trop mécanisée et qui en était
alors aux premiers balbutiements des applications industrielles. L’éditeur
Hetzel l’ayant pressenti l’aurait alors incité à se
consacrer sur des thèmes plus porteurs et ô combien puisque le récit
de ses voyages et de ses aventures ont enchanté des générations
et font de Jules une véritable icône vivante de la littérature
d’aventure précurseur de la science-fiction.
Enormément oui pour le contenu, mais définitivement non pour la
forme.
Texte de la lettre de l’éditeur Hetzel à Jules Verne sur les raisons du refus
Mon cher Verne, je donnerais je ne sais quoi pour n'avoir pas à vous écrire
aujourd'hui. Vous avez entrepris une tâche impossible - et pas plus que
vos devanciers dans des choses analogues - vous n'êtes parvenu à la
mener à bien. C'est à cent pieds au-dessous de Cinq semaines
en ballon. Si vous vous relisiez dans un an vous seriez d'accord avec moi.
C'est du petit journal et sur un sujet qui n'est pas heureux.
Je n'attendais pas une chose parfaite ; je vous redis que je savais que vous
essayiez l'infaisable, mais j'attendais mieux. Il n'y a pas là une seule
question d'avenir sérieux résolue, pas une critique qui ne ressemble à une
charge déjà faite et refaite - et si je m'étonne c'est
que vous ayez fait d'entrain et comme poussé par un dieu une chose si
pénible, si peu vivante.
J'aime mieux être franc. Si vous aviez raté une pièce au théâtre, vous le comprendriez - eh bien on rate un livre comme une pièce - et quand le point de départ aboutit à l'impossible, il n'y a rien qui puisse conduire au but, ni talent, ni adresse de détail - rien ne sauve ce qui ne peut pas être sauvé.
Je ne vois rien à louer dans votre affaire, rien à louer franchement. Je suis désolé, désolé de ce que je dois vous écrire là - je regarderais comme un désastre pour votre nom la publication de votre travail. Cela donnerait à croire que le ballon est un heureux raccroc. Moi qui ai le Capitaine Hatteras je sais que le raccroc c'est cette chose manquée au contraire, mais le public ne le saurait pas.
Faut-il vous le dire, c'est un livre presque d'enfant - de débutant, d'homme qui va comme un hanneton contre une vitre.
Sur les choses où je me crois compétent - les choses littéraires, rien de nouveau - vous parlez de ça comme un homme du monde qui s'en est un peu mêlé - qui a été aux premières représentations, qui découvre des lieux communs avec satisfaction. Ce n'est ni dans l'éloge ni dans la critique. Ce qui vaut d'être dit.
Vous n'êtes pas mûr pour ce livre-là, vous le referez dans vingt ans. C'est bien la peine de vieillir le monde de cent ans pour n'être pas au-dessus de celui qui court les rues aujourd'hui. Enfin c'est raté, raté et cent mille hommes me diraient le contraire que je les enverrais tous promener.
Malheureusement cent mille hommes parleraient comme moi.
Rien ne blesse, ni mes idées ni mes sentiments là-dedans. C'est la littérature seule qui me blesse - inférieure qu'elle est à vous-même, presque à toutes les lignes.
Votre Michel est un serin - les autres ne sont pas drôles - et souvent sont déplaisants.
Vous êtes dans le médiocre là, jusqu'aux cheveux. Il n'y a pas de vraie originalité, il n'y a pas de simplicité, il n'y a pas d'esprit, il n'y a pas en un mot ce qui peut faire une carrière de six mois à un livre. Il n'y a que de quoi vous faire un tort irréparable.
Ai-je raison, mon cher enfant, de vous traiter en fils, cruellement, à force de vouloir ce qui vous est bon ?
Cela va-t-il retourner votre coeur contre celui qui ose vous avertir si durement ?
J'espère que non - et pourtant je sais que je me suis trompé plus
d'une fois sur la force des gens à recevoir un avis vrai. Si je n'avais
devant moi que l'auteur du Ballon, je ne douterais pas que - convaincu ou non
- vous seriez certain de ma bonne intention. Eh bien, un des effets de votre
livre nouveau, c'est qu'il me fait craindre que vous ne soyez pas assez mûr,
assez fort pour comprendre cette arrache chirurgicale. Dieu sait pourtant que
si votre livre avait été seulement au quart réussi j'étais
décidé à le trouver bon tout à fait.
Votre J. Hetzel
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