« La controverse de Valladolid » n'a pas connu de controverse parmi nous, à une exception et cela même si les opinions du groupe ont été exprimées différemment en fonction de nos sensibilités : le rejet quasi total du dogme religieux avec ses excès a principalement animé les débats. Quel est le sujet ? Au moment des conquêtes espagnoles sur le sol américain, des idées s'affrontent sur l'appartenance des Indiens d'Amérique à l'espèce humaine, telle que créée par Dieu. Les indiens y appartiennent-ils ? Le légat du pape organise une sorte de tribunal avec l'affrontement de deux hommes porteurs de deux thèses totalement divergentes : l'un dominicain, Bartolomé de las Casas, homme de terrain représente la thèse du coeur, de la charité, il a vécu dans l'actuel Chiapas aux côtés des indiens qu'il reconnait comme ses égaux et l'autre, Sepulveda, homme de bibliothèque, prélat, prétendument philosophe se complaît dans les thèses aristocéliennes, il légitime la classification entre races supérieures et inférieures et justifie la guerre comme étant voulue par Dieu si la situation l'impose. Cet ouvrage évoque spontanément à certains de nos membres la lecture du mois précédent de Connelly où l'avocat de la Défense (ici le dominicain) tentait d'imposer sa vérité face au procureur incarné par un homme amoureux de la règle juridique .
Ouvrage très scénarisé qui a fait l'objet d'une pièce télévisée, très bien construit dans le cheminement de la pensée où le légat avance sans dévoiler sa préférence. Savait-il ou ne savait-il pas avant de commencer le débat quelle en serait la conclusion ? Les opinions des membres ont tranché en majorité vers une conclusion déjà connue d'avance. Celle-ci inattendue, révélée dans les toutes dernières pages du livre, nous a tous surpris et renforcé l'idée d'un roman monté comme un livre à suspense.
Comme l'a rappelé un de nos membres, l'auteur a travaillé dans sa jeunesse aux côtés de Buñuel et y a peut-être ancré son anticléricalisme.
Entre un Bartolomé de las Casas maladroit, affectif, tiraillé entre sa foi et les risques de dérive à une époque où rôde l'Inquisition et un Sépulvéda, froid, sûr de sa supériorité rhétorique, le légat laisse planer le doute et désarçonne plus d'une fois Las Casas qui pense perdre la partie.
Piégé par un acte de sa jeunesse, las Casas reste muet pendant le verdict qui laisserait penser qu'il en sort vainqueur et pourtant !
Qu'a donc voulu Jean Claude Carrière ? Au-delà de l'aspect théologique de la question, il a semblé à peu d'entre nous que le véritable message de l'auteur tentait de démontrer les turpitudes de la nature humaine : violence, goût pour la hiérarchie de classe, exploitation des plus démunis, et que l'auteur amorce une analyse des classes sociales déjà en vigueur à cette époque. Alors que les Indiens retrouvent leur âme , les peuples colons se retournent vers les Africains pour en faire leurs nouveaux esclaves, une nouvelle controverse se profile.
Jean Claude Carrière que trois d'entre nous avions croisé quelques jours auparavant lors d'une rencontre sur l'Inde, nous avait confié qu'il était très fier de cette oeuvre majeure à ses yeux et nous avait mis en garde sur la tendance à juger à la lumière de nos consciences actuelles « N'oubliez pas de vous replacer dans les moeurs de l'époque, ce fut mon défi en écrivant ce livre » .
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