Un roman de 600 pages, ça passe ou ça casse. Un roman japonais, ça déroute. Et si on rajoute qu’il a un titre sibyllin, cela réduit encore ses chances de succès.
Rien de tel pour « Kafka sur le rivage » (rivage entre rêve et réalité), qui à une exception près, a soulevé sinon des concerts d’éloges tout au moins un intérêt certain et suscité des commentaires enflammés et fort diversifiés. Le résumer à quelques impressions est réducteur pour cette œuvre éclectique « un fouillis attachant » « une fantasmagorie » selon certains de nos membres. Nos éclairages nous ont laissé perplexes car ils ont soulevé plus d’interrogations que de résolutions des énigmes. qui se suivent tout au long du livre.
A chacun son interprétation.
Au démarrage un jeune garçon prénommé Kafka (corbeau en tchèque ) écoute son double (le corbeau dans le texte) et prépare une fugue pour quitter un père indifférent qui l’a laissé dans la solitude et a attiré sur lui une malédiction digne du mythe oedipien Il veut retrouver sa mère et sa soeur qui l’ont abandonné il y a fort longtemps. Par ailleurs, un fait divers digne de romans de SF met en scène des enfants partis en promenade qui se sont mystérieusement endormis. Deux histoires se déroulent en parallèle sans que l’on puisse définir qui finalement est le héros de ce roman, Kafka commence une longue errance qui le conduit dans une bibliothèque au sud du Japon tandis que Nakata, vieil homme, rescapé de la sortie dramatique décrite au début, a vécu le reste de sa vie avec une perte de mémoire et des confusions mentales en totale dépendance avant d’entreprendre un long voyage qui le dirige vers l’île où s’est réfugié Kafka. Nakata se sent guidé par une impulsion et jamais leurs chemins ne se croisent
Beaucoup de scènes sortis de l’imagination de l’auteur côtoient des dialogues bien ancrés dans la réalité et l’actualité : des références à Schwarzenegger, Johnny Walker nommé Walken par dérision ou le colonel Sanders des Kentucky Fried tout droit sorti de l’affiche, le tout avec beaucoup d’humour.
L’auteur est féru de musique jazz, classique, tout oeuvre musicale comporte des tempo, des moderato, Son rythme d’écriture agit de même : lent quand il décrit les faits quotidiens, plus rapide et accéléré pour des scènes tragico-imaginaires et pleines de mystère. L’auteur essaie des genres différents, comme s’il était lui –même guidé par son écriture sans préméditation et la frontière est floue entre rêve et réalité.
Un conte pour les uns, pas du tout ont rétorqué les autres qui ont vu une succession de scénes en périphérie des deux protagonistes principaux sans cohérence. Un bémol pour la fin jugée un peu décevante pour la plupart d’entre nous. Langage métaphorique plus que symbolique, nos débats ont tourné sur ce thème, l’auteur donne une partie de la réponse puisque le mot métaphore revient très souvient dans ses pages.
Est-ce un éclairage ? Les personnages ont paru attachants et cette «gentillesse apparente »a plus troublé que convaincu. Mais en final, si tout ceci n’ était qu’’illusion et que l’auteur laisse à chacun la question essentielle du sens de la vie ?
Extrait traduit d’un interview de l’auteur après la sortie de son livre
Q : Pourquoi le mythe oedipien ?
C’est juste un des motifs, pas nécessairement l’élément
central. Je voulais écrire sur un adolescent qui quitte un père
sinistre et part en voyage à la recherche de sa mère (d’où le
mythe oedipien)
Q : Ce livre a connu un succès énorme aux US , comment l’expliquez
vous ?
Je pense aux personnes qui partagent mes rêves, ils aiment mes romans
? Je ne me rfèfère à aucun mythe, j’y puise la source
de mes histoires, sans plus
Q : Pensez-vous que l’on doive connaître la culture japonaise pour lire vos romans ? Quand j’écris, je ne mets pas spécialement quelque chose de particulier sur le Japon ? Ca sort de moi, ça peut être japonais ou américain. Je ne suis pas spécialiste de l’Angleterre du XIXème et pourtant j’aime lire Dickens
Q : Avant que le post modernisme devienne une idée à la mode , Franz Kafka explora ce domaine particulier Avez-vous donné le nom de kafka pour ces raisons ou bien pour quelles raisons, ce choix de Kafka pour votre héros ? Kafka est un de mes auteurs préférés, mais je ne suis pas influencé par lui. En tout cas, je pense qu’avoir voulu l’imiter eut été prendre des risques. Ce que je cherche, c’est écrire des histoires à ma façon, d’être unique. Un peu comme lui qui a crée une rupture dans le roman traditionnel. On peut penser que c’est une sorte d’hommage, mais non, je pense être différent. Et pour dire franchement, je ne sais pas ce que c’est le post modernisme
Q : Pourquoi cette cruauté envers les chats ?
J’adore les chats, j’en ai toujours eu depuis tout petit (pas d’autre
signification)
Tout comme j’adore la musique, la musique fait partie de ma vie. Quand
j’écris, j’ai toujours des musique en toile de fond
Q : Qu’est-ce qui vous a inspiré l’histoire
des enfants endormis ?
Pas de réponse spontanée.
J’aime les personnages décalés. Nakata est mon personnage préféré
Q : Votre roman est difficile à expliquer, y a t-il une
explication symbolique ?
Pas du tout, je n’aime pas les symboles, je suis plus à l’aise
avec les métaphores
C’est vrai que l’éditeur japonais a crée un site
pour tenter d’expliquer le livre. En 3 mois, il a reçu plus de
8000 questions, j’ai répondu à certaines d’entre
elles. Ce que je conseille, c’est de le lire plusieurs fois, je comprends
que les gens soient occupés, mais vraiment il faut le relire, moi-même à chaque
relecture, je redécouvre des choses. Le roman est plein d’énigmes
qu’il faut associer. Chaque lecteur a son interprétation des faits
<<< Séance précédente : «Le régiment noir»
Séance suivante >>> : «Ouest»