Déjà à l'époque de sa publication, l'une des sociétés
d'édition qui projetait d'éditer « Animal Farm »,
décida de consulter le ministère de l'Information anglais, lequel émit
un avis défavorable. En effet," la fable était trop proche
de l'histoire de Russie soviétique et de ses deux dictateurs...la fable
perdrait de son caractère offensant si la caste dominante n'était
pas représenté par des cochons...cela offenserait inévitablement
beaucoup de gens et, en particulier, ceux qui sont quelque peu susceptibles,
comme les sont manifestement les Russes".
L'auteur reconnait un symptôme inquiétant dans ce genre d'intervention.
Néanmoins, ce qui le révolte le plus est l'attitude de la presse
libérale et la lâcheté des intellectuels. La censure est
bel et bien volontaire. La presse est dominée par deux ou trois magnats.
Les groupes de pression, les intérêts économiques et l'Eglise
Catholique sont ainsi protégées ("cela ne se fait pas" de
les attaquer et ceux qui le font risquent d'être boycottés). Mais
cela est la "routine", le modus vivendi de la presse, qui ne se gêne
pas pour attaquer Churchill ou parler de politique interne. Mais cette servilité des
intellectuels de gauche vis-à-vis de l’opinion publique lui sembla
scandaleuse.
L'engouement pour l'U.R.S.S. vient de l’issue de la guerre. Plusieurs
fois déjà la presse et les intellectuels anglais ont ainsi fermé les
yeux aux méfaits de l'U.R.S.S. Comme exemples, l'auteur cite la BBC
qui a célébré le 25 anniversaire de l'Armée Rouge
sans mentionner le nom de Trotski...les calomnies des journaux anglais de gauche
envers les organisations du camp républicain pendant la Guerre d'Espagne...la
falsification de l’œuvre de communistes anglais, ayant reçu
les copyright de la première édition de l'œuvre de John
Reed (Ten Days that Shook the World). Aucun doute: l'orthodoxie en place était
une admiration sans réserve pour la Russie.
La question d'Orwell est la suivante: quid de la liberté d'opinion?
Ceux qui devaient en être les gardiens, les intellectuels de gauche,
renient cette liberté au nom de la démocratie. "Si l'on
aime la démocratie, l'on doit être prêt à écraser
ses ennemis par n'importe quel moyen". Mais qui sont les ennemis? Cet
argument a servi à justifier les purges russes. Au-delà et en
dehors de l'affirmation marxiste que la" liberté bourgeoise" est
une illusion, il a eu un pendant très répandu à prétendre
que la démocratie ne peut être défendue que par des moyens
totalitaires.
Cependant, Orwell évoque la possibilité de l'acceptation de son
livre, un jour. Mais à quoi cela servira-t-il? Le remplacement d'une
orthodoxie par une autre n'est pas nécessairement un progrès.
Seule la liberté d'expression vue comme la liberté de pensée,
tradition de la civilisation occidentale, est désirable. Parler de liberté n'a
de sens qu'à condition que ce soit la liberté de dire aux gens
ce qu'ils n'ont pas envie d'entendre.
C’est l’objet de sa préface.
- Compte-rendu de la « FERME DES ANIMAUX » - 1945
L’œuvre de Georges Orwell a soulevé des discussions animées.
De manière générale, la vision de l’auteur ainsi
que son écriture en forme de fable ont été appréciées.
Il a été évoqué, dés le début de
la réunion, la ressemblance du sujet avec l’U.R.S.S et le tandem
Trotski-Lénine. Certains ont pu avoir une copie de la préface
de l' ouvrage (voir résumé ci-dessus).
Certains lecteurs ont ressenti que « La Ferme des animaux » transmettait une vision très claire de la dégradation des utopies lorsqu’elles prennent le pouvoir. Le caractère universaliste de l’œuvre est remarqué. Les moulins à vent représentant l’industrie lourde, la sidérurgie et les grands projets. Le récit de la manipulation par la propagande a été mentionné en long et en large.
Ceux qui ont lu le livre d’une façon « candide » se
sont laissés emportés par l’écriture. Le rôle
des animaux a été abordé, à savoir que l’âne
sceptique n’est autre que…l’auteur lui-même.
Plusieurs lecteurs ont épinglé un arrangement trop « opportun » de
la fable, et la fin a été jugé quelque peu caricaturale.
L’humanisation à outrance des animaux a déplu à certains, bien comme le pessimisme latent de l’auteur.
Les régimes sont cycliques, et la pourriture annonce l’arrivée
d’autres régimes . Quid de la démocratie ?
Peut-on voir dans cette œuvre, comme cela a été cité,
une vision prophétique et désespérante ?
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